12 juillet 2008

Multiples

« Un personnage des plus étranges a récemment disparu d'un asile d'aliénés privé près de Providence. Ne vous laissez pas aller à la panique, il n’est pas dangereux. » L’article était suivi du portrait d’un homme en blouse blanche.

Jo, énervé, déchiqueta le journal. – Pas dangereux, grommela-t-il, vous en foutrais du pas dangereux, moi. – C’est vrai quoi, on ne l’avait pas enfermé pour rien non plus ! Les triplés qu’il avait séquestrés, pendant 8 mois, les jumeaux qu’il avait torturés, tous avec des tuyaux branchés de partout. Que des multiples ! Dès qu’il en voyait, il fallait qu’il les enferme, et ce, le plus longtemps possible. Puis, s’ils réussissaient à s’échapper, il les reliait à des machines, les entourait de bips incessants, espérant que leurs sens en soient émoussés, il voulait les voir souffrir, recroquevillés dans leurs bulles. Séparés, héhé, séparés… Là était son plus grand plaisir, leur enlever la joie d’être ensemble.

Et il n’opérait pas seul, il dirigeait toute une équipe, ceux-ci s’occupaient du rapt, du ravitaillement, de l’enfermement des multiples. Ensuite, il s’en chargeait lui-même. On les lui amenait, et il faisait tout, tout ce qu’il pouvait pour les garder dans leur bulle, il la chouchoutait, la bulle, même s’il la branchait ; il n’y avait pas de raison qu’elle ne souffre pas un peu aussi non mais !

Son plus beau coup… des sextuplés… ils étaient restés enfermés près de 7 mois… franchement, il n’était pas peu fier de lui…

Il s’en foutait un peu de s’être fait enfermé… mais la veille, des triplés étaient venus lui rendre visite, il ne pouvait pas décemment les laisser sortir, il fallait qu’il s’en occupe ! Il s’était alors échappé, les avait suivis, et il était retourné dans son repère heureusement ses hommes étaient libres, ils avaient été lavés de tous soupçons il leur avait décrit sa cible, hors de question qu’elle lui échappe… Ses hommes, toujours fidèles, avaient fait en sorte de le satisfaire. Et il avait pu les séquestrer, ces triplés, ils étaient là, détendus, endormis… Un sourire sadique se dessinait sur le visage de Jo. Ceux-là… il ferait ce qu’il n’avait jamais réussi à faire avec aucune autre fratrie…, ceux là, il les garderait 9 mois ! Il y arriverait, il en était sûr.

Oh non ! Déjà ?! Le service psychiatrique l’avait retrouvé… Ce n’étaient pas ses hommes qui l’avaient trahi tout de même ? Pourquoi le regardaient-ils tous ainsi ? Un regard emprunt de pitié, un peu de fierté, certains le regardaient droit dans les yeux, d’autres baissaient la tête… Il se sentait humilié, trahi…

Un encart dans un journal « Le gynécologue fou a été retrouvé et ré-enfermé dans le centre de Providence. Dans sa fuite, il a permis à une femme de ne pas accoucher prématurément. Cet homme, dans son délire, a sauvé bien des vies ; d’un seul coup d’œil il savait reconnaitre une femme enceinte, et surtout le nombre de fœtus. Grâce à lui, nombre d’entre eux sont restés presque jusqu’à terme dans le ventre de leur mère. On ne sait trop ce qui se passait dans son esprit ; bien qu’il leur fît le plus grand bien, on a compris qu’il le faisait dans un esprit malveillant. C’est pourquoi il restera ici, enfermé dans une bulle, coupé du monde ; et pour sa part, bien plus de neuf mois. »

3 juillet 2008

Son

Dans un amphi bondé, un chercheur, surexcité, se pavane devant un comité d’acheteurs potentiels et autres scientifiques intéressés.

Madame, Monsieur laissez moi vous présenter l’aboissonniet !

Un jour, excédé des hurlements des chiens du voisinage, je me suis mis à rechercher une nouvelle forme de collier anti aboiements. Je n’adhère pas à la forme de ceux actuels qui soit donnent une décharge au chien qui se laisse aller à faire son travail, soit lui offre une bouffée d’une senteur qu’il déteste, au risque de lui bousiller son odorat.

J’ai donc cherché, et j’ai trouvé ! Oui, j’ai trouvé vous dis-je!

Imaginez ! Grâce à ce tout petit appareil, vous choisissez le périmètre où vous voulez conserver le son… Je m’explique, votre maison est entourée de nuisibles… aéroports, trains, voisins plus que bruyants… chiens… non je ne les oubliais pas !

Alors, vous réglez ce petit bouton de façon à obtenir juste une sphère qui entoure votre maison, et vous voilà environné de silence. Plutôt pratique non ?

D’ailleurs, je vous le prouve immédiatement voyez, je ne veux qu’un diamètre de 25 mètres autour de moi, je règle donc cette molette… je disais… cette molette, mais tourne bon sang ! Je suis désolé messieurs dames, mais il semblerait que le bouton se soit bloqué à 5 mètres…

Alors voyez… où plutôt écoutez… Mouais enfin vous écoutez le silence quoi et moi, là… je parle comme un c…oiffeur dans son salon.

Je vais remettre le son, hihi, comme une télécommande vous dis-je ! Fabuleux n’est ce pas ? Euh… bon… euh… il semblerait que j’aie un petit problème… Ah oui… vous ne m’entendez pas. Je vais vous l’écrire en grand là sur le tableau :

IL SEMBLERAIT QUE L’APPAREIL SOIT BLOQUE, JE NE PEUX PAS LE RÉPARER, BIEN SUR ON POURRAIT COUPER LE COURANT… MAIS ÇA NE CHANGERAIT RIEN. CET OUTIL DÉSINTÈGRE LE SON, IL NE FAIT PAS QU’ISOLER DE L’EXTÉRIEUR.

Bon, voilà, ça c’est fait, d’ici qu’ils puissent le lire… je me sauve… Au revoir Messieurs Dames, au revoir !


Un demi-siècle plus tard… la faune s’est éteinte, les animaux ne s’entendant plus dépérissent peu à peu. Et dans une vieille ville, une file d’être humains déambulent dans le plus grand silence… Enfin qu’est ce que le silence quand on ne connait pas le bruit ?

Cette longue procession se dirige vers un amphi… enfin plutôt vers le milieu de cet amphi, chacun vient, en pèlerinage… pour, une fois dans sa vie… entendre sa voix.


Bon… laissons les chiens aboyer, laissons les gens faire du bruit, et écoutons nous… de peur qu’un savant fou, un jour, ne supprime les sons…