28 août 2008

Voyage


Ça y est, les enfants sont attachés, les valises bien arrimées, on va pouvoir décoller. La petite trépigne dès les premiers kilomètres « Meuh ? Meuh ? ». T’inquiètes ma puce, t’auras tout le temps de les voir sur la route tes vaches. Le grand ouvre la bouche, je sens que je ne vais pas y couper « C’est quand qu’on arrive ? ». Je l’aurai parié, à peine partis et il commence à être chiant. C’est quoi aussi ton idée à la gomme là ? Partir en vacances… C’est nouveau ça que t’aimes les vacances ? T’as jamais voulu te faire dorer la pilule nulle part, t’imagines pas, si on t’avais vu, avec ton ventre d’après accouchement. Tu crois que moi ça me dérange ? Si ça me gênait j’aurai trouvé une midinette. Et puis là, d’un coup, ça te prend, t’as envie de vacances. Ce n’est pas comme si t’en avais besoin, tu ne bosses même pas !

T’aurais au moins pu me demander mon avis ; bien sûr que j’aurai accepté, tu sais comme j’aime ça la montagne, grimper aux falaises c’est le pied ! Le must du must c’est quand on y va sans filet ; tu m’aurais vu l’autre jour – t’aurais été folle – mon piton a lâché, je ne me tenais plus qu’à une main ! Je me suis rétabli avec une dextre ! Digne des meilleurs ! Ze Big Boss ! Non vraiment, toute modestie mise à part, je suis très bon, tu n’es pas d’accord ? Non ? Mouais, tu me diras, toi et l’adrénaline... T’oses pas doubler une mini comtesse parce que ça t’angoisse et que ça te fait, je cite, « des fourmis dans les bras », alors m’observer grimper, ce n’est vraiment pas envisageable. T’es vraiment trop flippée. Et ta thérapie alors ? Rien ? A quoi ça sert qu’on le paie ce toubib, pardon, ce psychologue de mes deux ? Tu vas le voir trois fois par semaine, pour tes petites angoisses, tes petits soucis du quotidien… Quels soucis au fait ? Tu peux me dire ? Enfin, si ça peut te faire plaisir de croire que tu vas mieux, je veux bien débourser, ce n’est pas comme si je ne faisais que ça.

Non mais ce n’est pas vrai ! Vous allez la fermer les gosses ? Suffit que je discute avec votre mère pour que vous foutiez le boxon. Arrêtez de vous battre, et tout de suite ! Encore à emmerder ta petite sœur toi ? Va falloir que tu files droit vite fait toi, je te le dis ! Tout le portrait de son père. Quoi ? Mais non je ne suis pas de parti pris, va pas me saouler encore avec ça. Je sais bien que tu n’as rien dit et tu vas continuer comme ça ! Et arrêtes de chialer, ça fait désordre, c’est les vacances, merde !

C’est bien la peine de partir en vacances si c’est pour t’entendre sangloter et renifler tout le long de la route, c’est vrai quoi, c’est censé être joyeux des vacances ! Ne vas pas me dire que c’est « encore » à cause de mon caractère, que dès que j’ouvre la bouche c’est pour être désagréable, ça commence à me saouler que ce soit toujours « à cause de moi » que l’ambiance soit pourrie. A l’annonce de ma maladie, plus personne ne parlait, on n’osait plus blaguer. Et puis ces amis qui ne venaient plus me voir parce que les tuyaux, ça fait désordre. Oui, je n’ai plus de cheveux, plus de sourcils… et alors ? Mes yeux sont encore là non ? Ils peuvent bien me regarder ? Font chier tiens, qu’ils aillent se faire foutre, ça leur fera les pieds.

[…] Je suis désolé, excuse moi, arrête de bramer, je t’ai dit que je m’excusais. Tu sais que ça m’énerve quand tu piailles pour rien. Je sais bien que je ne suis pas l’homme le plus sympa du monde, mais tu m’as épousé non ? Je pense que t’avais bien une raison. J’étais beau ? Nan pas possible ça, quoiqu’avec tes goûts tordus… Je crois plutôt que j’avais un beau portefeuille. Comment ça « ignoble » non mais tu t’es vue ? Je t’ai prise, avec mon beau portefeuille, ton joli petit cul et ton gamin ! T’étais en cloque au cas où tu te rappelles pas et je t’ai sortie de la merde. T’y étais bien hein, dans ta merde. Enfin. Je t’ai prise comme ça, je ne vais pas te le reprocher maintenant.

C’est à cette époque là qu’on a pris nos vacances, les premières et les dernières. Tu t’en rappelles ? On partait voir l’océan, t’attendais le p’tit couillu qu’est là derrière et le médecin disait qu’il te fallait respirer les embruns. Vu que t’avais niqué ta santé, fallait que tu t’en refasses une. J’avais la BM à l’époque, je m’en rappelle bien, cette voiture… elle en a avalé des bornes. Bref, on est partis à la mer, en amoureux, rien que ton bide entre nous, ton bide et ton gros cul, qu’était vachement moins mignon d’un coup. Ouais j’arrête. En vacances donc, pour les embruns. Les embruns ! Les embrumés oui ! Comme des cons on s’est barrés à Saint Nazaire ; là bas, pour l’air pur, tu peux repasser. Après deux jours passés à respirer les émanations des bateaux, on s’est dit que l’air de la mer n’était peut être pas si bon et qu’on allait pousser jusqu’à la montagne.

La montagne… Dès le premier regard, j’ai su, la montagne m’a gagné ce jour là, sur le plateau. On s’est regardés, la montagne et moi, je te promets qu’on s’est regardés, droit dans les émotions. Elle m’a piqué en plein cœur, je savais bien que je ne pourrais pas vivre près d’elle, alors j’essaie à chacune de mes vacances, j’essaie de m’y laisser mourir. Par amour oui, par amour, ça te semble fou que je puisse aimer ? J’ai envie de finir ma vie entre ses bras, de m’abandonner entièrement à sa grandeur, sa pureté. Je te l’ai dit ce jour là, je t’ai dit que si je mourrais ailleurs, je voudrais que tu reviennes y disperser mes cendres. Le paysage y est tellement paisible, ça me changera du rythme de fou de ma vie de cadre ! En même temps, je serai mort, alors le rythme de la vie…

Ce n’est pas vrai, j’hallucine… C’est là que tu m’emmènes ? Allez ne dis pas le contraire, je sais encore lire que diable ! Ne fais pas genre… je le sais, je la reconnais la route ! Pour une surprise, c’est une sacrée bonne surprise ! Je n’aurai pas cru qu’on reviendrait ici. T’en avais pas gardé un si mauvais souvenir de cet endroit en fait. C’est ça ? En fait t’aimais bien mais t’as jamais osé le dire ? Toi qui trouvais mon idée morbide, qui disait que tu ne reviendrais jamais ici... Tu m’as bien eu. Je suis heureux ma chérie, t’as même réussi à me le redonner ce sourire qui te faisait tant craquer. Ça ne m’était pas arrivé depuis ce jour où j’ai appris que j’avais cette putain de maladie. Ça fait mal, mal aux zygomatiques.

Allez les mômes, découvrez cet endroit où j’ai appris à aimer la montagne, ce lieu qui m’a ouvert les yeux sur la beauté du monde. Ah non chérie, arrête de pleurer. Pas ici, ne vas pas gêner la quiétude de ce lieu. Pourquoi tu pleures encore ? On n’est pas venus en vacances pour t’entendre chialer. T’aurais pu mettre une tenue plus gaie d’ailleurs, avec ta voilette tu fais limite sicilienne. Mais qu’est ce que c’est que cette boite ? Je ne l’avais jamais vue.

Oh qu’est ce que tu fous là ! Ne t’approche pas comme ça du bord, avec tes yeux embués et tes cannes qui ne marchent pas droit tu vas te viander. Il ne s’agirait pas que t’arrives en bas, là sans cordage, resterait pas grand chose. Tu fais quoi avec ta boite ? Mais ça ne va pas ? N’appelle pas les gamins nom d’un chien ! Hé les mômes si je dis à votre mère de s’éloigner du vide c’est que j’ai une bonne raison, non ? Je parle dans le vent ou quoi ? Merde écoutez-moi un peu ! Il n’y a plus de respect je vous jure.

Qu’est ce que tu fabriques là ? Pourquoi Tu l’ouvres la boite ? Montre voir, mais montre je te dis ! Tu ne m’entends pas quand je te parle ? Laisse-moi regarder ça.

Mais, mais. Mais c’est mon nom sur ce truc ?
                                        Une poussière de cendres me prend
                    M’enveloppe
M’emporte avec elle                                 
Tourbillonnant dans le vent
Vers la forêt            
La rivière en contrebas.                                           
La rivière.
                     Tu sais ma chérie, la rivière, et bien elle file droit sur la Loire.

 Je vais finir à Saint-Nazaire !

21 août 2008

Au dela des ondes

J’ai remarqué que, de temps en temps, lorsque j’éteins la radio, elle continue à marcher. La première fois je ne m’en suis pas rendu compte ; parti me coucher, je l’ai découverte – grésillant – le lendemain matin. J’ai simplement cru que je l’avais oubliée. Mais aujourd’hui, j’ai beau tourner le bouton, rien n’y fait. Je tire sur le fil. Le son persiste.

Bon, je me calme et je repose le poste dé-li-ca-te-ment.

Je crois que je vais aller me coucher. Je dois rêver, c’est la fatigue, oui, c’est ça, la fatigue.

Je me tourne et me retourne – rien – je ne trouve pas le sommeil, impossible de me sortir cette fichue radio de la tête. Quitte à ne pas dormir, autant que ce soit en l’écoutant. Alors, un thé, une couverture et je m’installe dans mon fauteuil favori histoire d’en savoir plus.

Je prends la radio entre mes mains et monte le son ; toujours cette friture, je vais essayer de chercher une fréquence, ça me parait fou de faire ça, sans courant, mais au point où j’en suis…

Rien ? Je suis déçu. Je m’attendais à quelque mystère, quelque aventure impromptue.

Tout à coup je discerne quelque son malgré les parasites ; une musique étrange, ainsi qu’une voix, j’augmente le son :

« Ceci n'est pas une défaillance de votre transistor, n'essayez donc pas de le régler; nous maitrisons à présent toutes les retransmissions. Nous contrôlons les graves et les aigus. Nous pouvons vous noyer sous un millier de sonorités ou dilater une simple note jusqu'à lui donner la clarté du cristal et même au delà.

Nous pouvons modeler votre audition et lui fournir tous ce que votre imagination peut concevoir. Pendant l'heure qui vient nous contrôlerons tout ce que vous aller entendre.

Nous partagerons toutes les angoisses et les mystères qui gisent dans les plus profonds abysses, au delà du réel. »

Etonné de ce tour de force, mais soulagé, je ris ! Ce n’est qu’une émission de radio ! Un truc à la gomme dans le genre « vous entrez dans la quatrième dimension » Pour la peine, je vais m’en délecter ; je me pencherai sur le problème de la retransmission plus tard.

Une heure d’angoisse et de frissons plus tard, j’émerge de ce monde parallèle où je m’étais fondu. Je m’y suis cru, tout à fait cru. C’est la première fois que je ressens autant une histoire. Elle n’était pas originale, pourtant, une sorte de martien dans un monde étrange – ressemblant au notre, du moins par l’architecture – j’ai déjà vu mieux.

Le grésillement s’est tu, enfin. Comment se fait-il que cette radio a pu me transmettre cette émission ? Mais suis-je bête ?! Ce ne peut être qu’un oubli de ma part. J’avais laissé les piles lors de ma dernière sortie. Comment ? Pas de piles ?

Tout à coup mes trois, trois ? yeux accrochent le miroir je me reconnais vaguement mais ce qui me choque le plus c’est cette peau verte, écailleuse… et ces deux soleils qui se lèvent par delà les immeubles.

9 août 2008

Borsalino

Quand j’étais jeune et con, tiens, tout comme toi petit ; quand j’étais jeune et con donc, je m’imaginais finir riche, je rêvais d’être un mafioso sans scrupule, de porter un costume trois pièces agrémenté d’un borsalino…

Ah, ce que j’aurai aimé diriger une famille, qu’on vienne me baiser la main en m’appelant « Parrain » et que même le Pape me respecte ! Mais je ne suis pas né dans la cuisine du diable et les seules mafias que j’ai vues se trouvaient sur une toile de ciné du quartier Montparnasse. Les Don Corleone dont j’avais toujours été le plus grand admirateur n’étaient que des acteurs. Mais quels acteurs ! Brando, de Niro, Pacino (que des O !) des hommes à l’image des mafiosi tels qu’on se les représente ! Ah ça oui, j’aurai aimé, mais voilà, je suis né en 45, alors comme tant d’autres, j’ai passé mon certificat d’études et je suis resté à Paris, là où j’avais grandit.

J’en étais proche de tous ces grands ! Je n’aurai pas pu faire plus proche, j’étais devenu Projectionniste. Et toujours au Montparnasse. Bon, ce n’est plus la même petite salle, ils nous ont mis un truc énorme, « Gaumont-parnasse » ils appellent ça. Et le rythme n’est plus le même, il y a tellement de films que je ne peux pas tous les connaitre, j’aimerai bien pourtant, comme à mes débuts, passer en boucle le même film et ce pendant six mois. Maintenant je n’ai plus le temps d’apprécier, cinq nouveaux films par semaine, une vraie boulimie créative !

Je suis sûr que toi, gamin, tu n’as jamais entendu le célèbre « You’re talking to me ? » autrement que dans « la Haine » qui soit dit en passant n’est pas si mauvais, même pour un vieil inconditionnel comme moi. Je me trompe ?

En attendant la retraite, à chaque congé, je me réfugie au Luxembourg où je file des coups de canne aux passants, comme dirait l’autre, bien qu’ils ne mangent pas de pain.

Le gamin observe le vieux en coin, l’écoutant raconter sa vie – ça fait passer le temps – il s’imagine vieux lui-même, faisant le décompte de sa vie à un jeune con, assis sur un banc, au Lux. Il ne sait pas encore comment il sera, ce qu’il lui contera au gamin, pour l’instant il est en seconde Gé, pas fixé, pas encore prêt, peut-être. Et puis, il a le temps non ? En tout cas, il le croit. Il est encore persuadé d’avoir l’avenir et le monde – l’avenir du monde ? – entre ses mains. Bon il n’est pas dupe hein, au fond de lui, il sait bien qu’il ne l’a pas vraiment. Enfin, il s’en fout, ou pas, d’ailleurs, ou pas.

Mais merde, c’est vrai quoi, ça lui colle des sueurs tout ça. Il fera quoi de sa vie ? Ca l’énerve le môme, une journée gâchée par des doutes à la con, il ne va plus pourvoir penser à autre chose. Il n’y a bien que des vieux ratés pour vous foutre le blues. Il commence à broyer du noir sévère, et ça le saoule, par ce beau temps d’avoir le moral dans les chaussettes ce n’est vraiment pas son truc. Au moment où il se lève, une dernière phrase du vieux projectionniste le sort de sa réflexion et lui redonne le sourire :


J’suis content quand même… J’ai réussi à l’avoir mon borsalino !