17 janvier 2010

Changement de Cap

Il la contemple, lui sourit. Souvent, il lui parle, aussi, lui raconte sa journée en lui tenant la main. Oh, il la lève à peine du lit où elle repose, cette main, pour ne pas la faire souffrir. Un jour, il a voulu la poser sur son ventre, parce qu’il gargouillait, se disant que ça la soulagerait, mais il a arrêté, un craquement avorté dans son épaule l’a stoppé net. Dans une tendre caresse, il l’a reposée.

Chaque matin, il la peigne, longuement, amoureusement. Ses si beaux cheveux noirs. Il les lui natte, deux nattes, une de chaque côté, chacune masquant une oreille. Pour ne pas qu’elle souffre, un chignon ferait conflit avec l’oreiller, qu’il tape, d’ailleurs, matin, midi et soir. Les couvertures sont au carré, les draps lissés. Avec soin. Elle s’en fout.

Elle perd ses cheveux, plus il la brosse, plus elle en perd. Ses ongles poussent irrémédiablement, il a bien pensé à soigner ceux de ses mains, mais ses orteils accrochent le drap, elle en a horriblement conscience. Ça crisse, lui laissant une sensation désagréable dans les dents. Mais elle ne dit rien, elle joue l’indifférente.

Son teint, pauvre de soleil, est blafard, les rideaux sont tirés pour que ses yeux ne fatiguent pas trop. Autour du lit, au sol, des monceaux de bombes insecticides vides. Quand il vient, ça s’entend. Et le voilà qui repart à raconter sa journée. Si elle pouvait, elle soupirerait. Mais elle la ferme, ou plutôt, c’est un morceau de gros scotch qui la maintient close, sa mâchoire. Du scotch, la classe.

Elle a envie de l’attraper par le col, de le secouer comme un prunier et de lui hurler qu’il est temps qu’il la laisse partir, qu’il doit ouvrir cette fenêtre, laisser entrer les mouches, les vers, les asticots et autres bestioles affamées. Qu’il doit la laisser fuir ce corps, ce corps… Merde, elle est clamsée quoi, elle n’est plus là, ou plutôt elle aimerait bien, ne plus y être. Pitoyable !

Elle voudrait le consoler, lui expliquer pourquoi son cœur a lâché et pourquoi, lui, doit laisser le sien se lâcher. Aller de l’avant, tourner à droite après le cimetière et ne pas se retourner, un baluchon et toute une existence à venir. Elle n’est plus là. Il ne sait pas, lui, qu’elle y est. Il ne faut pas qu’il le sache d’ailleurs, que l’âme attend qu’il accepte. Surtout pas.

Mû par une force soudaine, il ouvre les rideaux, la fenêtre même, en grand. Il éteint la climatisation, débranche les quelques tue-insectes disséminés dans la maison. Il s’approche d’elle, lui caresse la joue et dans le même temps, ôte le ruban adhésif. Sa bouche s’ouvre en un étrange rictus. Même ainsi, il l’aime. Il aimerait l’embrasser mais un ver blanc, un survivant, se glisse sur une lèvre.

Il prend son sac et s’éloigne, pas de sépulture, il n’en a pas la force. Près de la porte, il se retourne vers son passé, ce passé qu’il abandonne. Un rayon de soleil sur les yeux fixant à jamais les fleurs du mur leur redonne un semblant de vie qu’ils n’auront plus. L’homme frissonne. Un courant d’air à son oreille lui a rappelé sa voix. Quand elle lui disait Merci, après l’amour.

Des larmes coulent sur son visage parcheminé. Il se détourne enfin, avec, l’impression fugace de l’avoir vue sourire. Il avance. Il part. Direction la vie.