22 février 2010

Respire

Ça est entré dans ma vie comme un cheveu sur la soupe. Ça me donne des envies bizarres. De fraises. Ça n’en donne pas qu’à moi, des envies, envie de moi, qu’elle dit, envie de vomir, aussi. Envie de manger du chocolat, du jambon, des fruits, mais lavés, hein ! Envie de tout et n’importe quoi à n’importe quel moment. Tout a commencé par une envie. J’ai acquiescé sans savoir à quoi, j’étais occupé. Et Ça a pris. Sa place.

Bientôt Ça aura des bras, des jambes, Ça bougera un peu partout, et, si on ne surveille pas Ça correctement, Ça jouera les oryctéropes ou se tapera des limaces, au choix. Bon appétit. Ça est rempli de possibilités. Ça pourra évoluer différemment selon notre façon de faire. Myriade de futurs à voir. Une mauvaise taloche, une réflexion mal placée et Ça se braquera. Trop de caresses et Ça sera un pourri gâté.

Ça, ce truc là, ce machin qui va changer mon avenir.  Ça change déjà mon présent. Je me retrouve avec une femme valétudinaire, ayant droit chaque matin à ma bassine. Les joies de… Des nèfles oui ! Et une bassine, une ! Maintenant, tu veux ton p’tit dej’ ? Oui, au lit, je sais. Parce que t’as les intestins tellement compressés qu’une résection des tuyaux ne serait pas de trop pour que ça (pas Ça), trouve le chemin de la sortie.

Trop tôt pour Ça, encore. Heureusement. Je suis loin d’être prêt. Première séance d’haptonomie. Un truc barbare qui consiste à poser mes mains sur le ventre de la mère de Ça. Son ventre, je l’adore, il est superbe. Enfin, il l’était. Plat, doux. Et depuis peu, l’est rond. Et Ça en a fait son antre. Le fourbe ! Je le crée et il vient déformer ce ventre si magnifique ! Il ne faut pas oublier que sans moi, Ça, ne serait pas là. Et si ce n’était pas grâce à moi qu’il était là ? Oui, chérie, l’haptonomie. Haptonomons donc, haptonomons.

J’ai posé mes mains sur ce ventre difforme. Deux mois que je ne le touche plus. Ce n’est pas ma femme, cette machine à vomir qui prend du ventre et ne va pas tarder à s’empâter. Pourquoi je l’ai écoutée aussi ? Je veux un bébé, qu’elle a dit. Tout ce que tu veux ma chérie, j’ai répondu, je n’avais pas vraiment entendu. J’avoue. Et la voilà qui arrête la pilule. On ne pouvait pas choper ça dans un magasin ? Du genre un qui ne rend pas malade, qu’on loue quand on veut, un qui déforme pas le bide, un qui… Baby-sitter, tu ne veux pas faire du gardiennage d’enfants ma chérie ?

Merde. Ça a bougé. Juste là, sous ma main. Autour de moi, les autres tarés qui attendent avec impatience le moindre mouvement sursautent à mon propre sursaut. La bonne femme, sage, il parait, vient me voir avec un sourire plus qu’encourageant. Sous ses yeux, je repose ma main. Ma femme me parle, je n’entends rien. Ça bouge. Ça est vivant. Ça me reconnait. Ça sait que je flippe à mort. Ça veut me montrer qu’il existe.

Ça est un bébé. Qui donne des coups de pieds. De coude ou de je ne sais quoi. Ça est déjà sur des clichés, mais, là, sous ma main, Ça bouge. Et… là, Ça fait le dos rond. Pourquoi je chiale, chérie ? Mais tu ne comprends pas, bordel ! J’vais être papa, chérie. Papa.

15 février 2010

Plutôt



Ce matin, en la regardant bien, il la trouvait plutôt belle. La veille, c’était magnifique qu’il la découvrait. Brin par brin, déficelant son paquet comme un délice qu’il savourait. Il voulait profiter de l’opération, prenant son temps, tel un moineau, picorant. Miette après miette. Doucement. Il était resté longtemps intimidé par elle, très. Très intimidé et très longtemps. Un jour, enfin, elle avait montré qu’elle éprouvait quelque sympathie à son égard. Un peu, beaucoup, passionnément. Il s’était jeté à corps perdu dans leur relation. Fou d’elle, fou.

Avant, elle ne le voyait pas, parlait avec lui comme avec n’importe quel interlocuteur. Un client, un collègue parmi tant d’autres. Une légère lueur d’intérêt dans le regard quand il lui avait présenté le dernier brevet validé. Invention intéressante. L’invention, pas lui. Et puis elle avait ouvert les yeux. L’avait regardé, avait ouvert une brèche. Lui, se sentant enfin en confiance, s’y était engouffré. Elle l’avait laissé faire, l’agrandissant même, y prenant plaisir. Elle savait qu’elle risquait d’y laisser des plumes, que la brèche serait sans doute synonyme de plaie, béante. Elle ferait comme à son habitude, s’envelopperait d’un manteau d’indifférence, et, aiguille à la main, se recoudrait. À vif.

Dans ce bureau qui était sien, son amant nouveau la déshabillait ce soir, lentement. Elle aimait ça. Cette prise de temps. Cette douceur exacerbant ses sens. Elle luttait, contre elle-même, croqueuse, pour ne pas prendre les choses en mains. Se jeter sur lui, bestiale, lui arracher les quelques couches de tissus qui les séparaient encore. Lascive, elle s’offrait, cadeau. Cadeau. Il avait fini par la dénuder entièrement. Et en avait profité. Ils en avaient profité.

Au point de s’être endormis, las. Sur le sofa. Nus, enlacés. La cloche de saint Martin l’avait réveillé. Pas elle. Le sourire de l’amour encore sur les lèvres. Décidément, il la trouvait plutôt belle. Le mystère et la distance, l’indifférence qui l’avaient tant attiré en elle… Tout ceci disparu, il la trouvait juste, plutôt, belle. Des formes pleines, un visage régulier, un corps tel que nombre de femmes l’auraient jalousé. Mais la magie n’était plus là. Il l’avait voulue, il en avait trempé ses draps, en avait sué d’envie, par tous les pores de son être, il l’avait disséquée, chacun de ses gestes, des sons émis de sa bouche, bouche qu’il adulait…

Et il avait découvert une femme. Belle, plutôt. Mais une femme. Rien que ça. Rien de plus. Sa déesse inapprochable, son désir inassouvi, ce n’était qu’un être de chair et de sang. Il avait pris son pied, cette nuit. Vraiment. Il la recouvrit du plaid qui avait chu à terre, enfila ses vêtements à lui, laissant là la robe de laine qu’il avait détricotée patiemment, la veille. Sur le bureau, il écrivit une lettre, formelle. Entre quelques phrases banales, la date et sa signature, une simple ligne.

Veuillez accepter ma démission.

Sa patronne intouchable, touchée, dormait d’un sommeil lourd. Une femme plutôt belle, dans un bureau plutôt classe, qui avait couché avec un employé plutôt banal. Elle dormait. Elle avait pris un pied plutôt inhabituel cette nuit, rêvait aux suivantes. Celles qui n’auraient pas lieu. Dehors, une silhouette aux épaules basses s’éloignait d’un pas pressé. Déçu.

1 février 2010

Une main tendue

Une main que je saisis, qui m’entraine dans un ailleurs où les mots n’ont pas cours. Un ailleurs au goût… au goût de miel. Douceur à mes lèvres que ce souffle qui les parcourt, glissant sur ma joue pour découvrir, au creux de mon cou, ma peau. Frisson.

Ces lèvres qui sans même laisser échapper un son me clament ton… envie. Soupir. Et la mienne alors ? Dois-je la taire ? Nenni, je ne vais pas me gêner, je m’en viens te murmurer la chanson du vent à l’oreille, longuement, et je craque.

Gourmande, une dent mienne s’en vient tâter la résistance de ton lobe, poursuivie bientôt par un triangle rose. Curieuse, mutine, ma langue se sauve, ma bouche entière s’écarte laissant un courant d’air venir te caresser l’épiderme.

Lors même que je t’abandonne, tu reviens à la charge, tes mains, brûlantes, me découvrent, contant les vallées, les monts, contant les collines, n’en perdant pas une once. Chaque grain de ma peau, défaut de la texture, craquelure du terrain m’est rappelée. Sans honte.

Un sourire béat s’attarde sur mes lèvres, soudain, ta voix s’élève. Tu prononces ces quelques mots et moi, moi je ne sais que mordre cette lippe dans ce geste que tu apprécies tant. Je me défais alors des quelques rares tissus qui me couvraient encore… Et je m’offre.

Là, c’est moi que j’abandonne, totalement.

A toi.

Foin des menhirs !

Rude réveil au moment fatidique. Je pose des yeux fatigués sur le lieu où je me trouve. Tu n’y es pas. Encore une fois mes draps froissés ne t’ont pas compris dans la danse. Sarabande menée seule. Morphée a été cruel.

M’amener à toi pour, lors même qu’enfin j’allais te découvrir, me retirer de tes bras. Je ne suis pas masochiste ! Frustrée, par contre… Pourtant, alors que je replonge dans le puits du sommeil, je souris. Béatement.

Une fois encore le dieu des songes me mène à toi. Sages, main dans la main. Yeux dans les yeux. Cliché. M’en fous, suis bien, heureuse. Bienheureuse. Un téléphone sonne, venant interrompre ce moment. Je le maudis avant d’encore ouvrir les yeux.

Il sonne, en vrai. Une envie de le lancer à travers la pièce me prend pour qu’il se taise et que je te rejoigne à nouveau. Pourtant, d’instinct, je regarde qui appelle.

C’est toi.

Le sourire revient.

Allo ?