4 juillet 2011

L’ivre-esse

Un seul être vous manque et tout est dépeuplé. Vous êtes bien plus à me manquer. Je découvre aujourd’hui la vie sans vous. Sans doute aurais-je dû songer à cela avant de choisir mon exil. Une île par personne, un mois durant. Aucun contact humain, aucun objet autre que le minimum vital : une gamelle en inox, une gourde et un couteau. Point. L’idée était alléchante. Oublié le stress de la vie active, les voitures, le bruit… Le bruit omniprésent qui ne laisse nul repos à vos tympans.

La nature est bruyante. Venir sur une île déserte pour chercher le calme est une aberration. Le son des vagues, un délice pour qui le découvre, un cauchemar pour qui ne peut le fuir. Le ressac, encore et toujours, valse immuable du temps sur le monde. Seul répit ? Lorsque la mer est basse… Heure où la mer se tait pour laisser place au vacarme terrestre. Vent dans les arbres, cris de singes invisibles depuis l’heure où j’ai hurlé à leur approche… Oiseaux qui chantent. Et dire que des gens en achètent pour le « plaisir » de leur chant !

Les gens sont fous. Moi, y compris. Vous faites tellement partie de mon quotidien que j’en ai oublié combien vous comptez à mes yeux. Combien vous voir à chaque instant est simplement indispensable, combien il me faut plonger en vous régulièrement pour mieux me rasséréner… Humidifier mon doigt pour mieux vous caresser, vivre. Vivre à travers vous, en vous, grâce à vous. Délicieuse sensation d’existence volée, tranches de vies savourées. Les vôtres. Que je fais miennes.

Je suis folle d’avoir cru être capable de me passer de vous. Mais je ne crois pas m’être posée la question. Jamais. J’aurais dû. Invisibles et pourtant indispensables. Folle de vous avoir oublié, folle de tenter de survivre sans vous… Le manque va me tuer… Il me faut vous lire encore, ces mots que je connais par cœur, que je pourrais réciter, à l’envi.

Voilà la solution, je m’en vais vous recréer, encore et encore. Sur la plage, tracer vos mots sur le sable, un chapitre par jour… Je vous lirai vite, avant que la mer ne remonte. Ainsi régénérée, j’irai ensuite m’occuper de vivre cette vie d’ostracisme volontaire, solitude réclamée à grands cris… J’aurai l’esprit libre, vous lire plutôt que me souvenir de vous, ça n’a pas la même valeur…

Lécher mon doigt pour le tremper dans le sable, ça n’est définitivement pas aussi agréable, mais je m’y ferai. L’on ne peut vivre sans vous. Heureux les illettrés, ne sachant pas lire, une vie telle ne les dérangerait pas. Il ne ressentirait pas ce manque, celui que chaque être amoureux de vous sait ne pouvoir être comblé que par vous… Ou un ersatz tracé dans le sable.

Je m’en vais vous bouffer, vous dévorer des yeux, user du sable pour mieux abuser de vous. Ivre de mots, ivre de vous, bourré de livres. Ivresse livresque.