29 septembre 2011

Immonde e-monde, Leitmotive opus 2

On n'est pas toujours sélectionnés... C'est ce qui m'est arrivée pour ce deuxième opus sur fond de rails que je vais me procurer, au passage... Il vient de sortir !
Je vous laisse tout de même découvrir mon texte !

FATIGUÉS DE LUTTER CONTRE LES FORCES D'INERTIE, NOUS ROULIONS SOUDÉS VERS LA NUIT, SUBISSANT L'ODEUR AIGRE DES CORPS ENTREMÊLÉS. LE BRUIT SOURD ET SACCADÉ DE L'ACIER SUR LES RAILS ÉTOUFFAIT LES SOUPIRS.
Si j’avais été poète et pourvu d’un nécessaire d’écriture, sans doute aurais-je décrit les choses ainsi. Sauf que la poésie n’était pas mon truc et que le moment ne s’y prêtait absolument pas. Nous étions parqués dans des wagons, à bestiaux s’il vous plait. Serrés les uns aux autres, à tenir en nos bras nos biens les plus précieux. – Ce qui, il faut en convenir, laisse peu de place à la création artistique. – Qui un sac, qui de la nourriture, qui… son enfant. Et quand il y en avait deux, on alternait celui qui était porté et celui qu’on posait pour les laisser respirer.
J’en avais trois. Et j’étais seul. Ma femme s’était fait descendre – d’une balle, pas du train – quelques jours auparavant. C’était monnaie courante, paraît-il. Courant ou pas, je l’avais vécu, anéantissement, déchirure de la perte d’un être cher. Cher, la vie humaine ne vaut plus grand-chose, paraît-il. Il parait bien des trucs à notre époque, comme si c’était la dictature de l’apparence. Étrange. Je sais qui je suis. Et je ne parais pas autre chose.
Un loquedu parmi tant d’autres, pouilleux parmi les pouilleux, misérable carcasse de chair sans aucune valeur, si ce n’était celle que je lui accordais. Je savais bien où ma vie allait me mener ; depuis l’avènement du Surêtre, l’être n’était plus rien.  Et je n’étais qu’un être : chair, sang et os. Naturel. Conçu par l’entrejambe. Hérésie de nos jours, d’après les propagandes. Je n’étais qu’un être. Honte sur moi. Comble du comble, je m’étais apparié avec l’une d’entre nous, et nous avions osé faire une descendance. Je n'avais su me retenir, trop belle... Elle accoucha par trois fois. Trois. Un trio d’êtres imparfaits, parfaitement humains, totalement réprouvés par la morale, identitairement inexistants. Juste assez réels pour qu’on paie l’Amende.


Le monde est ce que nous en avons fait. Nous, les humains, avant de nous faire remplacer. Tout est parti d’un bon sentiment. Tout part toujours d’un bon sentiment. Les plus grandes catastrophes, les plus grands malheurs, les plus horribles créations… L'enfer, les bonnes intentions, les pavés, la plage, tout ça... Que cherchait Einstein, déjà ? Des chercheurs trouvèrent le moyen d’augmenter la longévité de l’être. Sans maladie, sans vieillesse, bientôt l’homme pourrait vivre un demi-millénaire ! Le souci de la mémoire sélective du cerveau humain fut vite écarté par l’implémentation directe de quelques téraoctets dans le cortex cérébral.
Une politique de contrôle des naissances fut mise en place. Il était fortement conseillé de faire appel aux services de l’enfance pour décider des caractéristiques du fœtus. Couleur des yeux, sexe, capacités. Tout était paramétré selon les besoin planétaires. Et, bien sûr, il n’était toléré qu’un seul descendant par couple. Procréation interdite pour qui était déjà géniteur. Parallèlement, toutes les personnes de plus de 80 ans étaient appelées à rejoindre les services de vieillissement : de magnifiques centres, selon les brochures. Dans certains milieux, on osait raconter qu'on n'avait jamais pu rendre visite à nos aïeux une fois qu'ils s'étaient installés. La dictature de la démographie sévissait.
Dans les Hautes Castes, les enfants étaient conçus artificiellement, et, en sus de la mémoire, on  les dotait de Processeurs Organico-Artificiels. Les POA assistèrent l'Élite, et, peu à peu, l’absorbèrent. Il était hors de question de mettre ces techniques à la portée de n’importe qui. Trop nombreux, ce serait la mise à mort de la Terre. Longévité, d'accord, mais pour une population choisie. La police démographique était née. Tous devaient passer par là pour procréer, la natalité naturelle, plus que déconseillée, fut interdite. Alors la natalité plurielle...

Seuls les êtres parfaits eurent droit à la Vie, dès lors qu’ils acceptaient que leur descendance devienne des Surêtres : descendants de l'Élite dotés de POA. La perfection allait aussi dans la non-pensée. Quiconque était surpris à trop réfléchir se voyait doté d’un POA bridé. Le souci étant qu’il était difficile de l’assimiler après la naissance. Beaucoup décédèrent, d'autres devinrent des légumes viables. Non pensée, obéissance. La règle était simple, si nous ne savions pas être corrects, il nous faudrait parêtre, ou ne pas être.
L’homme est un loup pour l’homme, de visu, pour un observateur extérieur, la vérité aurait été telle. Il n’en était rien. Les POA avaient pris le contrôle des êtres qui les avaient absorbés. Ils dirigeaient tout. Surtout les corps dont ils occupaient le cerveau. Les chercheurs avaient tellement bien travaillé que les machines s’étaient intégrées à l’homme, il était désormais impossible de supprimer les implants sans tuer les sujets. Ils grandissaient avec leurs porteurs, se nourrissant de l’énergie corporelle. L’homme n’était plus responsable.


Si on grattait un peu la croute Terrestre, sous la couche de toc, on découvrait les bas fonds. Là vivaient des êtres au cerveau libre, sans ajout autre que, pour les plus riches ou les plus érudits, de mémoire. C’était mon cas. Ma mémoire se transmettait de génération en génération. Lors des premiers POA, certains chercheurs – visionnaires, sans doute – avaient décrété qu’il valait mieux doter de mémoire quelques personnes des castes populaires. Envie de points de vues divergents.
L’Histoire ayant toujours été écrite par les gagnants, les dirigeants, et ayant la prodigieuse propension à être modifiée au fur et à mesure de l’évolution des choses, il fut décrété, sous le secret du polichinelle, qu’un de mes ancêtres, parmi d’autres élus, serait doté d’un unique yottaoctet. Le processus coutant fort cher à réaliser, les porteurs se devaient de rester discrets et, de génération en génération, l’on devait récupérer la mémoire moins de vingt-quatre heure après l’arrêt du cerveau porteur, sous peine que le suivant ne devienne fou, la mort n’étant guère un souvenir agréable, le néant pensif suivant non plus.
Nous étions donc chargés d’avoir descendance, puisqu’il fallait un ADN similaire pour des questions de compatibilité. Beaucoup périrent sans héritier génétique. J'étais le dernier. Ma compagne m’en donna trois. C'était ma faute. J'aurais dû me contenter d'un seul, mais ses yeux étaient une invite au grand plongeon, sa poitrine une invite à la débauche et son con, à la luxure. Je n'aurais pu me passer de lui faire l'amour plus de quelques jours. Une femme comme il n'en nait que trop peu, si féline, si douce, si... Son souvenir lui-même m'habitait, irradiant chaleur et douleur en mon bas-ventre. Dans ce train, même, pour ne pas devenir fou, j'ai tenté de rêver à elle.

Lorsque la Police de la Démographie nous mit la main dessus, nous savions qu’ils réclameraient un corps adulte – l’Amende – en échange de la vie des petits. D’un regard, elle me signifia qu’elle irait, que j’avais une mission à mener à bien, que je n’avais pas le choix. Je savais qu’elle avait raison. Je le savais, mais ne voulais pas m’y résigner. Ils ne m’ont pas même laissé le temps de réfléchir, de réagir. Sous mes pupilles écarquillées, ils mirent fin à ses jours. Une balle, une seule. Le son sourd de la détonation se mêla longtemps à celui du train, plus tard. J'ai récupéré l'engin de mort qui venait de me rendre orphelin d'amour. Plus jamais je ne pourrais vivre ce qu'elle m'offrait, elle n'était plus... Ma Parfaite...!

Après que j'eu fini de vider mes tripes au sol, une main sur mon épaule me fit lever les yeux. Hagard, je suivis cette silhouette au regard amical. Pas un mot ne fut échangé, son doigt posé sur mes lèvres suffit à assassiner les questions en ma gorge. Les enfants suivirent tant bien que mal, et, chaque fois que je crus perdre cet inconnu de vue, il s’arrêtait, laissant leurs petites jambes parcourir le chemin qui nous séparait de lui. Je ne savais pourquoi je lui faisais confiance. Sans doute un zeste de lueur présent dans son regard semblant me dire qu’il disait vrai. Il n’avait pourtant pipé mot.
Nous restâmes quelques jours dans les tréfonds d’un vieil égout oublié. L'homme avait raison, je le savais, la Police de la démographie ne faisait jamais les choses à moitié, lorsque l’on payait l’Amende, ils nous traquaient, prenant plaisir à récupérer les enfants surnuméraires pour les doter d’un POA bridé. Le cerveau d'un jeune étant moins sujet au rejet. Un matin, ou plutôt, à un réveil, notre guide, fébrile, nous mena vers une gare. L’endroit était atrocement glauque, les trains semblaient sortir tout droit d’un passé oublié, bien pire que les bas fonds. Une odeur de vieille urine et de sueur rance tapissait l’air, emplissant nos poumons d'une bouillie infâme. Nous entrâmes.
Le wagon à bestiaux était bondé, le muet nous poussa, moi et les enfants, et rit, légèrement, comme soulagé d’un fardeau, nous. La porte coulissa dans mon dos et je sentis la vibration de la lourde barre qui s’abaissait pour la bloquer. Un instant, très court, je crus m’être trompé, qu’on allait au plus profond des terres sauvages, là où, disait-on, il était possible de vivre à l’ancienne, de cultiver de quoi se nourrir, où l’eau n’était pas rare, où l’on vivait. Vivre. Réellement, avec mes enfants, d’autres gens, sans la peur, la terrible peur qui vous étreignait dès le réveil, ne vous quittant pas même lors de votre sommeil.
Les quelques rares ouvertures me permirent d’apercevoir le reflet de nombreuses paires d’yeux fatigués. Quelques murmures à la voix mal assurée parvinrent à mes oreilles. La vérité s'imposa à moi, prenant place en mon cerveau, crevant ma dernière parcelle d’espoir à ce moment précis. J’étais en partance pour la purge. Écartant les gens autour de moi avec une force que je ne me connaissais pas, je pris deux de mes enfants à bras, une paire de mains compatissante se saisit du troisième. J’allais remercier lorsque je constatais qu’en guise d’aide, j’avais eu droit à un rapt. Je criai, me débattis, ma femme n'était pas morte pour cela ! Je ne pus rien faire, j'eus beau hurler, taper comme je le pouvais, je n'allais pas prendre le risque de lâcher les deux autres. Le son d’une nuque brisée, à l’autre bout du wagon, m’apprit l’inéluctable. Alors que s’élevait le son de la mastication de plusieurs bouches, mon cri s’avorta sur mes lèvres en un haut-le-cœur silencieux. Cela faisait déjà un moment qu’ils étaient là, eux.
Je défendis mes derniers nés farouchement, mordant les mains qui osaient s’en approcher, fixant la masse d’un regard haineux. Plusieurs jours passèrent ainsi, le son sourd de l’acier sur les rails étouffant les soupirs, les gargouillis des ventres également. Mes petits avaient depuis longtemps cessé de se plaindre, de respirer également. Elle était morte en vain. J'aurais dû leur dire de prendre les enfants, j'aurais dû ne pas la laisser se sacrifier, j'aurais dû... Elle n'aurait jamais accepté cela, elle m'aurait haï, m'aurait interdit de la regarder, de la respirer de me perdre à nouveau en elle...
Longtemps, serrant toujours ces êtres sans vie contre moi, je m'interrogeai sur le but de notre guide, sans doute avait-il réellement songé nous sauver. Au début. Son mutisme aurait dû me mettre la puce à l'oreille, c'est parfois le signe d'une implémentation à l'âge adulte d'un POA bridé. Un sursaut d'humanité l'avait poussé à nous cacher, puis l'implant avait repris le dessus. Un espoir, peut-être ?

Le train s'arrêta. Je perçus le soupir monocorde exhalé des poumons des rares survivants. Soulagés, bientôt la fin. Je soupirai aussi. Enfin. J'étais la mémoire du monde, et aujourd'hui, j'ai su.

26 septembre 2011

Ils...

Ils arrivèrent. À nos portes, juste là, derrière, je les entendais qui reniflaient à travers la porte, ils me sentaient, je le savais. Ma sueur acre que la peur rendait palpable. Elle était partout, la peur, pas seulement la mienne. Tous, nous étions pétrifiés, terrorisés, chaque regard suintant l’appréhension des souffrances à venir, chaque œil reflétant le cauchemar que nous vivions.

Trop calme.

Les nourrissons ne pleuraient pas, les enfants ne jouaient plus, ils avaient oublié comment faire, ce que c’était que l’insouciance, ce que c’était que d’être jeune, sans attache, sans responsabilité. Comment auraient-ils pu faire autrement ? Vivre était une richesse, déjà, rester en vie sans dormir la nuit. La lune était témoin des ombres menaçantes, des griffures sur nos murs, des tentatives d’approche.

Bientôt.

Bientôt, ils nous déborderaient, entreraient, et nous tueraient, tous.
Un par un, tous à la fois. Tous, en tous les cas.
Bientôt. Très bientôt.

Ce soir.

Ils sont entrés, nous ne nous sommes pas débattus. À quoi bon ? Nous savions déjà quel serait le dénouement de la bataille. Nos réserves sont épuisées, nos corps sont las de cette guerre dont nous connaissons les vainqueurs.

Ils sont là.

Nos frères et sœurs, nos parents, nos amis, ceux qui furent nos voisins, nos enfants. Ils sont tous là, nous souriant de leurs crocs acérés, nous tendant leurs mains griffues pour une ultime embrassade, un dernier baiser. Nous nous blottissons contre eux, incapables de lutter encore, offrande à nos amours.

Morts.

Nous avançons avec eux désormais, vers une autre forteresse, un autre bidonville où survivent les humains. Nos cousins. Ils nous rejoindrons, quand bien même ils ne le savent pas encore, quand bien même ils ne l’acceptent pas déjà. Ils mourront, tous, puis ils se relèveront pour avancer, encore, avec nous.

Virus.

La folie s’est emparée des hommes, cela fait quelques mois, une nouvelle maladie, un dérivé de la grippe, encore. Les chercheurs n’ont pas compris qu’ils ne pourraient rien y faire, que cette souche évoluerait chaque fois qu’ils la modifieraient. Non. Ou ils n’ont pas voulu comprendre, aveuglés par ce virus qui leur résistait toujours. Ils ont trouvé l’arme ultime, ils ont trouvé comment tuer, anéantir cette chose.

Ils le croyaient.

Les vaccins furent distribués, la grippe faisait rage. Les vaccins furent efficaces. Très. Trop. Le virus et leurs porteurs furent si bien soignés qu’ils tombèrent tous, comme des mouches. Pour mieux se relever ensuite…

Toujours contagieux.

Nous sommes la folie de l’homme, nous sommes sa fin. Nous sommes sa création, sa créature. L’homme a fait de nous ce que nous sommes. Nous faisons de lui ce qu’il a fait.

À jamais.