13 octobre 2014

Rose Morte

Édité chez l'Homme Debout (comprendre L'homme sans nom... HSN) 
Ecrit par Céline Landressie. Les superbes couvertures sont l’œuvre de Magali Villeneuve.



Rose Morte, tome 1
Deux tomes sont déjà parus, il en reste donc trois à venir.
Rose Morte est ce qu'on appelle une... romance vampirique. Je n'aime toujours pas les étiquettes. Là, quand je vous dis "romance vampirique", vous vous dites (Ne niez pas) "Quoi ? Encore une ? Mais marre à la fin de ces histoires d'amour à l'eau de rose où les vampires brillent au soleil ! Et d'où elle lit des trucs comme ça, Yunette ? Je la croyais au dessus de ce genre de "littérature" !" (Suis pas loin, avouez...)

Bon, je vous rassure. On est loin de Twillight et autres Journal d'un vampire. (désolée si vous avez aimé, moi pas.) Déjà... C'est bien écrit. Pas juste "bien", d'ailleurs. Le vocabulaire est assez recherché pour être riche, sans pour autant être pédant. Juste milieu, nickel.
Ensuite, oui, bon, c'est une romance. Mais il y a de l'action, de un. Et de l'historique, de deux. On ne peut que se rendre compte que l'auteure a fait des recherches pour bien coller à l'Histoire. C'est appréciable.
Je n'ai pas vu que des bons points dans cette lecture, je vais passer sur ce qui, à mon goût, est un défaut. (mais vraiment à mon goût, parce qu'au final, c'est aussi normal d'avoir ça dans les romances !) : Les descriptions de fringues ! Il y a eu des instants où j'ai cru être dans les chapitres "Sansa" de Trône de Fer... Mais ça, c'est juste moi que ça saoule, hein ! Parce qu'elles sont tout à fait à leur place, au fond, ces descriptions.
Rose Morte, tome 2
L'autre truc, ce sont les réactions de Rose. Et celles d'Artus. On a envie de les secouer, de leur foutre des baffes ! Merde ! La communication ! C'est la base de tout ! Bande d'emmerdeurs ! Pas capables de se dire ce qu'ils pensent vraiment ! Vous faites chier ! (Comment ça, c'est juste une frustration de lectrice qui a aimé lire et s'est sentie liée à sa lecture ? Ah ? Ah bon... J'ai aimé, alors ? Sans doute. Sans aucun doute, puisque je vous en parle.)



Bref, Rose Morte, c'est bon, mangez-en ! Ou lisez-le, déjà, pour commencer.

Merci à Cali qui m'a fait découvrir cette saga ! ('plus qu'à lire "Gagner la Guerre", maintenant, miss ! ^^






Tome 1 : La floraison
France, fin du XVIème siècle. 
C’est dans ce pays en proie à de terribles dissensions religieuses que se réfugient les Greer, fuyant l’Angleterre élisabéthaine.
Eileen, seule enfant du comte, est une jeune femme vive et de caractère. Mais son âge avance, et son père la met au pied du mur : elle doit se marier.
Et c’est en faisant tout pour éviter cette terrible obligation à l’aide de sa fidèle amie Charlotte que Rose fera connaissance d'Artus de Janlys.
Le séduisant et mystérieux comte l’entraînera dans un univers dont elle ne soupçonnait pas l’existence, où les crimes terribles qui secouent Paris trouveront une explication apparemment inconcevable, mais bel et bien réelle...


Tome 2 : Trois épines
France, fin du XVIIIe siècle.
Alors que la révolte gronde aux quatre coins de la France, Rose est rappelée de la cour de Russie. De retour aux côtés de son mentor, elle découvre que la situation vacille également dans l’univers occulte d’Artus.
Les Arimath doivent faire face à de sauvages attaques sur leurs terres, tandis que la grogne contre la noblesse croît d’instant en instant parmi le peuple. Entre la révolution naissante et les prémices d’une guerre au sein du monde obscur, les bouleversements dans l’existence de Rose s’annoncent cataclysmiques. Leurs conséquences risquent fort de faire sombrer en un même chaos les existences des humains aussi bien que des immortels...

13 septembre 2014

La Dernière Terre

La Dernière Terre, tome 1
Anciennement édité chez l'Homme Debout
(comprendre L'homme Sans Nom : HSN)

Écrit par Magali Villeneuve(-Dainche) et co-scénarisé par Alexandre Dainche qui en a d'ailleurs fait les magnifiques couvertures. (Magalex, des gens qui sont bien, mangez-en !)


Que dire ?
Tant et plus.
Une saga prévue en six tomes (deux sortis), cataloguée, si on doit lui coller une étiquette, dans la dark fantasy.
Je n’aime pas les étiquettes. Alors je préfère le mettre dans les bons livres. Très bons, même. C’est complet ! Un monde intéressant, une histoire qui déchire, des personnages profonds, touchants, déroutants !
J’ai acquis les tomes 1 et 2 lors d’une séance de dédicaces. Je n’avais vu que rapidement des avis de blogueurs qui encensaient ces deux premiers tomes.
J’y suis allée, j’ai discuté avec Magali et Nalex, l’équipe gagnante. J’y suis allée les yeux fermés, après avoir découvert ces deux personnes, adorables, souriantes, sans même connaitre leur œuvre, j’ai pris plaisir à les rencontrer, déjà. 
Je leur ai un peu foutu la pression, pour rire, parce que j’achetais sans connaitre, parce qu’ils avaient intérêt d’être à la hauteur, tout ça ! Genre je peux me permettre de juger. J’ai abusé. Je le sais, mais ils l’ont pris pour ce que c’était, la crainte d’une future lectrice d’être déçue d’un achat coup de tête. 
J’ai attendu pour le lire. Un mois et demi. Parce que c’était mon cadeau d’anniversaire. C’est long. Et j’ai découvert un livre… 
Un livre à lire.
À dévorer. À savourer !


La Dernière Terre, tome 2
Je ne saurai pas décrire le plaisir que j’ai eu à cette lecture. Les dialogues sont succulents, drôles, les descriptions ne sont jamais chiantes, les actions sont claires et bien écrites… C’est frustrant ! Le vocabulaire est riche, fourni, sans pour autant être lourd. Non, vraiment, un pur plaisir. Sans parler des émotions qui nous habitent durant la lecture ! On enrage parce qu’untel a des réactions connes, on tremble parce qu’un autre souffre, on sourit, souvent, parce que deux autres se prennent la tête gentiment. On rit, même. Et là, surtout, on attend... la Suite !
J’ai un poil le sentiment de me répéter, mais je n’ai qu’une chose à dire : lisez-le !
 
Bon, et sinon, ce Tome Trois ?






Tome 1 : L'enfant Meredhian
Un monumental ruban de pierre se dresse en sentinelle au bord des brumes éternelles.
Les hommes leur ont donné un nom : la Dernière Terre.
Dans la cité-capitale des Cinq Territoires, Cahir, jeune homme frêle, maladif, aux mœurs et aux allures bien éloignées des codes stricts qui font loi autour de lui, subsiste envers et contre la réprobation générale. Il est issu des Giddires, un peuple rejeté, au ban de la paix politique qui unit les autres contrées. Malgré cela, entre intelligence et ingénuité, il parvient à se rapprocher de certains locaux, dont Ghent, fils du Haut-Capitaine à la tête des forces militaires des Basses-Terres.
Au fil de ces jours paisibles, s’il advenait un événement capable de bouleverser tous les dogmes établis, quel poids l’existence de Cahir aurait-elle dans la balance des certitudes ?

Tome 2 : Des certitudes
Dans les Cinq Territoires, les saisons débutent un autre cycle et à nouveau, la Grande Relève en marquera l’amorce. Renvoyé vers son pays d’origine, Cahir, rongé par l’amertume et hanté par ses souvenirs, tente de retrouver sa place parmi les siens.
Tandis que, dans la cité-capitale, l’on a préféré effacer toute trace du drame pour mieux l’oublier, certaines culpabilités, quoique silencieuses encore, commencent à peser lourd.
Derrière les murs inébranlables de la tour du Nolath, l’Igilh reçoit un message glaçant en provenance des Plaines de Tilh. Il lui faut prendre une réelle décision. De celles qui, dépendantes d’un seul homme, peuvent déterminer pourtant le devenir de chacun.

2 mai 2014

Son dernier clope


Son dernier clope…
Un coup d’œil sur les taffes qui s’étiolent, rapide, il ne leur laisse pas le temps de s’évanouir sans un passage par la case poumons, aspire… Béatitude du poison s’insinuant en lui. Bientôt fini. Ses yeux s’attardent sur son autre main, il contemple ses ongles qu’il a déchiquetés là-bas ces derniers jours, à espérer trouver un moyen, persuadé que derrière cette porte se trouve son salut.
En vain.
L’entrée a continué de le narguer, encore et encore, demeurant hermétiquement close. Que demander de plus à une porte de fer perdue dans les montagnes ?
Bientôt la fin.
Ça fait un bout de temps qu’il est sorti de son propre abri sans savoir où aller. Qu’il s’est barré en emportant les maigres réserves qui subsistaient, qu’il a avancé sous le cagnard, bénissant la pluie acide et irradiée qui daignait parfois s’offrir à lui.
Soif…
Il n’a même plus faim tellement ses organes sont secs. Et il fume, pourtant, c’est tout ce qu’il lui reste. Ses pas l’ont mené ici, et, au lieu de continuer sa route, de tracer son chemin, il est resté là. L’œil attiré par un éclat métallique perdu au milieu d’éboulis, il s’est arrêté et a décidé qu’il serait sauvé ici.
Sauvé !
Il rit, de ce rire un peu fou qu’ont les hommes lorsque leur dernière heure arrive. Ses dernières forces, il les a consacrées à dégager l’entrée soudée à la paroi de pierre, à s’arracher les ongles sur le métal, s’écorcher la peau sur les cailloux tranchants. Tout ça pour une porte close.
Alors, assis là, il fume en attendant la grande faucheuse. Il a bien compris qu’elle ne viendrait pas en crabe conquérant sur ses poumons déjà noirs, non… L’homme à la crête sait qu’il va crever simplement parce que les terres sont désolées, dévastées, qu’il n’a pas rencontré âme qui vive depuis des… des quoi au fait ? Des jours ? Des semaines ? Des mois ? Des… ? Il a perdu le compte. Peut-être qu’il tourne en rond dans ces cailloux hostiles, peut-être qu’au-delà il y a la vie, un peuple, des gens qui font bombance et seraient prêts à partager…
Il en doute.
Il a peur, Connor. Il a peur d’être le dernier, de crever comme un con, là, devant une putain de porte fermée, un lieu qui gardera ses secrets bien après que les charognards – pour peu qu’il en reste en vie – lui aient dispersé les os après s’être repus de ses tripes.
« Je ne veux pas crever, pas comme ça ! »
Le son de sa voix lui est étranger. Trop rauque, trop faible, trop… Comme en écho à ses mots, un son émane d’à côté, de là-bas, de la porte, un peu en contrebas. Il ne veut pas y croire, persuadé que ce n’est que son imagination qui se joue de lui, encore ! Que rien n’a bougé, qu’il va être déçu comme les fois précédentes, persuadé qu’il y avait du mouvement, de l’autre côté.

La porte s’ouvre en émettant une plainte stridente. Une créature en émerge, qui stoppe. Le voici, lui, aux aguets, tentant de discerner ce qui sort. Quelques pas hasardeux et il la voit.
Une femme. Fluette. Brune. Asiatique. Sa tenue dénote avec l’univers qui les entoure. Une blouse, blanche, immaculée. La démarche est hésitante, les pieds, nus, semblent souffrir sur le sol inégal. Elle porte une main à ses yeux, éblouie semble-t-il. Rien d’étonnant au vu de l’ouverture sombre qui se découpe derrière elle.
Il l’observe longuement, prêt à tout. Il y a bien longtemps qu’il a compris que chaque personne croisée est un potentiel agresseur. Ou repas. Au choix. La seconde catégorie n’est vraie que si l’on est capable de se débarrasser de la menace due à la première. Ce qu’il s’apprête à faire.
Il est armé, bien sûr. Comment survivre autrement ? Son équipement est rudimentaire mais a d’ores et déjà prouvé son efficacité. Une sorte de lasso fait de fils barbelés. De quoi étrangler, ou du moins déchirer les chairs. La fille n’a toujours pas changé de place, elle s’est juste accroupie pour toucher la terre caillouteuse et l’a même goutée. Etrange demoiselle.
L’adrénaline lui sature les veines, lui offrant un regain d’énergie, il se redresse en faisant tournoyer son arme, et l’envoie. Il suit la course de la boucle de métal du regard, fier de lui, son lancé est bon. Parfait même. Le meilleur qu’il ait jamais fait. Il faut dire que sa cible est immobile.
Ou presque. Il n’a pas le temps de se réjouir. Il se retrouve au bas de son promontoire, n’ayant pas eu le réflexe de lâcher son arme quand celle-ci a été attrapée par sa proie. Il parlerait bien si un pied ne lui écrasait pas la trachée. La jeune femme le domine de toute sa hauteur. Elle ne dit rien, n’exprime pas de haine, rien qu’un peu d’étonnement.
La blouse n’est plus blanche, le barbelé a fait son œuvre sur la main et l’avant bras de la jeune femme. Jeune, oui. Il ne lui donne pas grand âge, pas la majorité, pour sûr, mais on ne sait jamais avec les jaunes. Elle libère son propre bras de la morsure métallique et ôte son pied de sa gorge, estimant sans doute qu’il n’est pas une menace.
Demi-tour.
Elle se casse. Elle se casse ! Tant bien que mal, alors que l’oxygène se fraie un passage jusqu’à ses poumons, il se relève, toussant et crachant. La femme ne donne plus l’air de souffrir malgré les pierres qui lui meurtrissent les pieds. Elle n’a pas l’air non plus d’avoir mal au bras, portant ses plaies à sa bouche pour les sucer.
Elle n’a rien dit. Elle va refermer la porte, à coup sûr. Il faut qu’il la rejoigne. Qu’elle l’attende !
« Attendez ! »
Elle s’arrête. Ne répond pas. Il la rejoint, rassemblant comme il le peut son lasso. Sans chercher plus loin. Elle parait en forme. Propre. Elle a sans doute de l’eau, à manger… Il pourrait profiter de son hospitalité, et plus si affinités. L’idée fait son chemin, la blouse ouverte au dos laisse entrevoir bien des merveilles et l’homme a la dalle.
Il pose la main sur le bras – pas le blessé, l’autre – de la jeune femme et s’essaie à sourire.
« Je peux peut-être profiter de votre abri pour la nuit ? »
Un regard sur sa main, puis sur son visage. Elle reste impassible, ni sourire ni grimace. Rien.
« Tu n’as pas envie d’entrer. »
Bien sûr que si il en a envie ! D’ailleurs, pour le lui prouver, il accélère le pas autant qu’il le peut et la devance dans la fraîche noirceur qui leur fait face. Il avance encore, sans mot dire, tentant d’adapter son regard à la pénombre. Il est si heureux qu’il ne se rend compte qu’après coup qu’elle a refermé derrière eux.
Il a trouvé quelqu’un. Une survivante. Jolie. Elle a un abri. Sans doute de quoi se nourrir. À boire. Il va vivre ! Il va se faire plaisir. Elle l’a eu par surprise auparavant. Il ne se fera plus avoir. Il était militaire, merde ! Il lui montrera. C’est lui le chef désormais, c’est lui l’homme, le mâle.
Comme un écho à ses élucubrations intérieures, la jeune main se glisse dans la sienne pour l’entraîner plus loin encore dans le boyau métallique. Ce n’est qu’au bout d’une vingtaine de mètres qu’il entrevoit une lueur diffuse. Et ce n’est que bien plus tard qu’il mettra un nom sur l’odeur qu’il préférait occulter depuis son entrée.

La lumière n’est guère forte quand ils pénètrent dans ce qui semble être un ancien centre de commandement. Des bougies graisseuses éclairent çà et là quelques points d’accès. Elle le lâche et s’approche de grands placards où sont entreposées des bonbonnes d’eau et des dizaines, non, des centaines, de boites de conserves.
Il croit défaillir quand l’odeur d’un corned-beef émane de son enveloppe métallique. C’est pourtant sur l’eau qu’il se jette tout d’abord, buvant à même le goulot, en renversant bien plus qu’il n’en avale. Il bâfre. Repu, il la cherche du regard, tout à sa joie, il ne s’est pas rendu compte qu’elle s’est éclipsée.
« Mademoiselle ? »
Il a l’air d’un con, là, il n’a pas songé à lui demander son nom. Il s’engage dans un couloir avant de faire demi-tour. Si la puanteur était supportable dans la grande salle, ici elle est suffocante. On dirait un charnier. La pauvre fille a dû rester enfermée ici et n’a sans doute pu sortir que grâce à lui ! Seule survivante d’un groupe de réfugiés, à tous les coups. Les idées vont bon train dans sa caboche, il se voit déjà comme le chevalier servant de la princesse qui n’aura d’autre envie que de lui être très – très – reconnaissante.
Voilà un scénario qui lui plaît. Arrivant près d’un autre couloir, il aperçoit la lueur d’une bougie plus loin. Il laisse là son sac – bien vide au demeurant – et s’y engouffre sans plus attendre, gardant son arme. La belle lui a tracé le chemin !
Des tâches sombres sur les murs et le sol le font s’interroger sur leur nature, quelques ouvertures laissent planer un silence étouffant, mais il continue son avancée sans faiblir. Il s’arrête net en voyant le spectacle qui s’offre à lui.

Cette autre salle, un peu plus petite que celle où il s’est sustenté, est éclairée par les mêmes bougies fumantes. Une table en inox occupe le centre de la pièce. La jeune femme lui tourne le dos, semblant en pleine conversation avec quelqu’un. Conversation est un bien grand mot puisqu’elle soliloque, l’autre ne lui répondant pas.
L’autre…
Ce n’est pas elle qui l’a fait stopper sur le pas de la porte, non. C’est lui. Il s’agit d’un homme, cela ne peut-être nié, mais il ne bouge pas. En station debout, il est attaché au mur par des chaînes longues, vêtu de la même blouse que son hôtesse. Il a dû être jeune. Il est jeune, d’ailleurs, une version masculine de l’asiatique.
Adolescent, jeune adulte, pas plus. Ce qui dérange Connor n’est pas la présence de chaînes, ce qui le met mal à l’aise, c’est le regard que l’enchaîné lui lance à son arrivée. Les orbites n’expriment rien. L’homme est mort. En témoignent, entre autres détails, les taches sombres sur ses bras nécrosés et le ver qui sort de sa joue. Effectuant un pas en arrière, il interroge la brune du regard, s'apercevant qu'elle observait sa réaction. Elle ne sourit pas.
« Ils voulaient le tuer. Je ne les ai pas laissés faire. »
Les taches sombres entrevues durant sa progression dans le couloir prennent tout leur sens pour Connor. Elle tire un tabouret de sous la table et s’assied, hors de portée de l’enchainé, l’invitant à faire de même.
« C’est à cause d’eux qu’il est comme ça. Ils testaient les maladies sur lui. Un jour ils ont fait une sortie et ils ont ramené une fille abîmée. Je n’ai pas entendu ce qu’ils disaient, ils paraissaient inquiets. Ils ont enfermé la fille dans une cage de verre, fait des prélèvements, et ils l’ont attaché, lui, sur cette table. Ensuite, ils ont mélangé leurs sangs pour voir s’il était immunisé à ça. »
Le laissant choir, elle quitte son siège tandis que son poing s’écrase contre la table, y laissant la marque ensanglantée de ses phalanges en souffrance. Elle hurle.
« Il ne l’était pas ! »
Les yeux brillants, elle porte son poing abîmé à ses lèvres et suçote doucement ses plaies. Connor l’observe, muet. Elle a perdu de sa superbe, ses épaules sont voûtées. Il songe que c’est un peu tard pour faire les présentations, mais que ça serait bien quand même. Il commence à ouvrir la bouche, espérant trouver un moyen de changer de sujet, passablement mal dans ses rangers en présence de l’homme – mais est-ce encore un homme ? – dont il sent le regard qui ne le quitte pas, mais elle reprend, la voix basse.
« Il ne l’était pas…
L’état de la fille s’est dégradé et ils l’ont tuée. Je m’en foutais. Lui, il ne mangeait plus et seulement de la viande humaine. Il ne parlait plus. Ils m’ont interdit d’y retourner… »
Elle rit. Un rire sec, sans joie.
« Je me suis occupée d’eux. Les docteurs n’ont eu aucune chance, et les autres m’avaient formée. Chacun m’apprenant une technique différente, chacun imprimant en moi sa touche personnelle, ses points faibles. Certains ont réussi à fuir et ont bloqué l’entrée pour nous empêcher de sortir. Cela fait longtemps. Il n’a plus de réserves. Mais il m’écoute, maintenant. Il obéit un peu… »
Elle parle, parle… Il s’étonne qu’elle soit si prolixe envers lui, un inconnu. Elle ne sait pas même son nom. À croire qu’elle soliloque, en fait, qu’elle n’a pas conscience de sa présence. Elle le regarde pourtant. Serait-ce enfin de la reconnaissance qu’il lit dans ses yeux ?
« Mais… Mais tu es là. Et tu as débloqué la porte ! Je vais pouvoir le nourrir, lui redonner des forces, et ensuite, ensuite, nous sortirons découvrir le monde ! »

Le sourire qu’elle lui adresse efface un instant, un instant seulement, le sens des paroles qu’elle vient de prononcer. Il l’a écoutée religieusement, conscient de la dangerosité de la demoiselle. La seule réaction qui lui vient à l’esprit est de poser enfin la question qui le taraude depuis que son estomac est plein.
« Comment vous appelez-vous ? »
Il la vouvoie toujours, il n’arrive pas à se défaire de cette manie. Nullement décontenancée par la question, elle se penche vers lui, toujours souriante.
« Nouanda.
— Moi… Il déglutit, subitement gêné par cette proximité, Moi, c’est Conn… »
Elle pose un doigt sur ses lèvres, lui intimant le silence, s’exprimant d’une voix douce, un rien désolée.
« Tu ne dois pas donner ton nom, c’est plus facile ainsi. Tu comprends ? »
Tétanisé par cette invraisemblable situation, il reste immobile quelques secondes, hochant bêtement la tête, la bouche béante sur la fin de son prénom avortée dans sa bouche. Les réflexes militaires lui redonnent l’usage de ses membres et il bondit hors de portée de Nouanda. Légère erreur de calcul de sa part, s’il est assez loin de la brune – qui au passage n’a rien fait pour l’empêcher de bouger – il ne l’est plus du mort-vivant – appelons un chat un chat – qui n’est pas si immobile qu’il le parait.
Au contact de l’homme putréfié, Connor reprend ses esprits, l’esquive, passant derrière lui et enroule son arme – rudimentaire mais néanmoins efficace – autour de son cou. Il ne réfléchit pas, agit directement. Il tire pendant que les mains grises s’essaient à le griffer, le saisir.
« Non ! » Le cri résonne alors que le mal est fait – l’homme à la crête n’estime pas avoir mal fait, précisions-le – la tête du cadavre roule au sol, séparée du reste du corps. Un corps mort est bien moins résistant qu’un vivant. Mais que dire d’un vivant face au désespoir d’une femme éduquée à tuer ?
Nouanda s’avance vers lui, elle ne court pas, elle ne crie pas non plus. Ses yeux sont inexpressifs. Elle s’agenouille devant le cadavre qui pend mollement au bout de ses chaînes. Connor n’existant déjà plus pour elle, il n’est pas source de danger. Elle se saisit de la tête dont elle caresse les cheveux, tendrement, avant de déposer un chaste baiser sur les lèvres pourries de celui qui avait été son frère.
« Tu me manqueras. »
Court éloge funèbre à peine murmuré. Elle dépose la tête sur la table. Elle détache ensuite le corps et le hisse sur le meuble, réunissant les deux morceaux du cadavre qui ne bougera plus. Elle contemple le seul être qu’elle a aimé durant sa courte vie. Son frère, son double. Il ne fait pas bon s’attacher, on ne l’y reprendra plus.

Pendant ce temps, Connor a effectué une retraite tactique, profitant du fait qu’elle ne lui prête absolument plus attention pour s’éloigner, empruntant le couloir par où il est arrivé. Le chemin lui semble plus long qu’à l’aller, sans doute parce qu’il ne cesse de se retourner, redoutant de la voir surgir derrière lui.
Ses pensées fusent au rythme débridé de son palpitant. Il pense à voix basse.
« Reconnaissante, ben tiens ! Quel con tu fais Connor ! Tu voulais la faire passer à la casserole, hé ? Mais sérieux, qu’est ce qu’il t’a pris d’entrer dans un abri, comme ça. L’odeur ! Putain, tu la connais l’odeur de la viande avariée ! Depuis le début tu le savais ! Mais t’es un crevard, tu pensais juste à ton estomac et à son cul. Et là, ça va donner quoi ? Tu vas laisser une nana pareille te foutre une raclée ? Tu vas te casser la queue entre les jambes ? »
Il fuit, en effet, pestant toujours contre ces instincts qui ne différencient pas l’homme de l’animal. Au bout du couloir, il récupère son sac qu’il bourre de boites en tous genres, sans même se donner la peine de regarder les étiquettes. Il n’a pas le temps. Bretelles arrimées aux épaules, son arme souillée de chairs pourries prudemment enroulée et accrochée à sa ceinture, il se saisit de deux bonbonnes d’eau. Mulet chargé, il n’avance plus très vite à travers la grande salle. La nature des bougies lui apparaît tout à coup. Ce sont des chandelles. Une mèche et de la graisse, animale, ou humaine.
Parvenu au centre de la pièce, il prend conscience de la nouvelle difficulté qui s’offre à lui. La salle est desservie par une dizaine de boyaux différents. S’il croit identifier celui d’où il vient, la véritable question est de savoir lequel il doit emprunter pour ressortir. Tout à ses pensées gastronomiques, il n’a prêté aucune attention à la disposition des lieux en arrivant.

Il se trompe, s’égare. Le sang bat dans ses tempes, il a lâché une outre, trop lourd. Son souffle saccadé témoigne de la panique qui le contrôle à présent. Il est loin le vétéran aguerri, il ne dit plus rien, il a cessé de se morigéner à propos de sa stupidité. De cadavre en couloir, il estime avoir visité le quart du centre. Mais quel est cet endroit ? Il se fout de la réponse, tout ce qu’il veut, c’est sortir.
Enfin, il reconnait l’endroit, c’est le bon couloir ! Il voit même la lumière au bout du tunnel !
« Tu n’avais pas envie d’entrer… »
Si près du but ! Sa dernière sensation, outre le souffle dans son oreille, est celle de la lame qui s’enfonce dans sa poitrine, non pas pour l’achever, non, simplement pour mettre à nu son cœur affolé. Il a de la chance, il sombre avant la fin de l’opération.
Elle l’attendait. Elle a faim.

26 février 2014

Bonne nouvelle !

Je sais... Oui, je sais. J'ai lu à fond ces derniers temps et je ne vous ai même pas offert le moindre avis, la moindre critique sur mes lectures. Ok. Frappez moi, allez y !

Par contre, bon, ok, là aussi je suis à la bourre, puisque c'était la semaine dernière, mais j'ai une nouvelle, que certains ont lus, inachevée à l'époque, qui est publiée dans une revue électronique.
Oui, bon hein, j'ai beau préférer le papier, quand on m'accorde un petit contrat d'édition pour une nouvelle, je ne vais pas cracher dessus !

Merci donc à La Matière Noire, qui a créé Short Stories Etc...
On m'y retrouve dans le numéro 7, à savoir celui du 19 février, pour la nouvelle "moins que rien".

Ah, oui, c'est payant, mais l'abonnement à l'année, pour 3 nouvelles par semaine n'est pas abusé ! Et au pire, prenez celui d'un mois !

Allez, vous en êtes ?

Avis aux plumes, Victorien cherche des textes encore, hein, il y a de la place !


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Numéro #7 - Short Stories Etc. Le magazine de la nouvelle.