22 mars 2021

Portre huitre, extase six.

Etage huit, porte six. Etage huit, porte six. Ne faut pas que je me plante, il l’a dit. Etage huit, porte six. Ma vie en dépend, qu’il a dit. Etage huit, porte huit. Non. Etage… Etage huit… Porte… six. Ouf. Oui, C’est ça. J’ai mal au ventre. Je crois que j’ai peur. Etage huit, porte six. Ne pas me planter. Je dois livrer le colis maintenant, dans environ… Maintenant, oui. Juste là. Souffle court, ascenseur en panne. Etage six. C’est bon. J’y suis.

Bon, la galère commence. Continue, plutôt. Pas de lumière. Même pas la loupiote du bouton ou de la sortie de secours. Plus qu’à y aller à tâtons. Porte huit, ça veut dire la quatrième porte sur droite après avoir pris à gauche en sortant de la cage d’escalier. J’ai vu les plans. Allez, c’est bientôt fini.

Il est bizarre ce mur, tantôt doux, comme s’il y avait de la moquette, tantôt rugueux, façon crépis. Quant aux portes, elles sont humides, poisseuses, et chaudes. Il y a des odeurs d’embruns. Il est vraiment à l’ouest, son étage huitre. J’ai hâte de trouver le boss, je ne suis pas très à l’aise avec le noir. Il est grand, impressionnant, et même pas là, là c’est moi qui suis dedans.

J’en ai marre. Je veux voir. Je veux de la lumière ! Je crois que j’ai la bonne porte, pour peu qu’on puisse appeler ça une porte. C’est… C’est poilu, bordel ! C’est quoi ce délire ? Et l’autre qui ne veut pas que j’aie mon smartphone, pour des histoires de localisation. Mais je vais où, moi, sans lumière ? Acheter des ampoules ?

Des ampoules ! Voilà, c’est ça ! Il m’en faut pour voir plus clair, et j’en ai plein le bide ! C’est pour ça que je suis dans un immeuble qui n’a pas la lumière à tous les étages : pour faire ma livraison. C’est ça. Pour le boss. Mais comment j’ai fait pour rentrer dans le noir alors qu’il est resté à l’aéroport. Il a dit quoi déjà ?

Ah oui. La porte. Frapper le code et entrer. Spoutch, smoutch, sproutch, torch, toc. Je ne sais pas si c’est la porte ou mon ventre qui fait des bruits étranges. Je me demande bien dans quel état j’erre. Faut que je me pose. Que je dépose le colis. Vite. C’est fermé.

J’en serai quitte pour un autre voyage si j’ai abîmé la marchandise. Et l’autre, avant le départ, qui m’a tapé dans le bide parce que je disais que c’était ma dernière virée. Je crois qu’il a tapé exprès pour que je me dépêche, pour que j’aie besoin d’eux pour extraire tout ça, que je ne me fasse pas la malle. Un coup. Juste un coup bien placé, assez fort pour que je sache. Assez doux pour n’abîmer qu’une ampoule.

Et mon estomac fait le reste. Ma tête aussi. Je suis un speeder coton. J’ai les jambes toutes molles et le cerveau à cent à l’heure. J’crois que j’pourrais marcher au plafond. Je tourne en rond, je ne tourne pas rond. J’suis malade boss. Ouvre-moi.

Moi j’ai grand ouvert mes yeux. J’ai compris que j’allais crever parce qu’on ne voulait pas que je raccroche. J’ai ouvert mes yeux. Un embryon de sensation me parvient, dans un brouillard de sens. Mes paupières sont collées, ça brûle. J’suis en plein trip, je crois. J’ai envie de gerber, mais faut pas. Ce n’est pas dans ce sens que ça doit ressortir. Surtout pas.

Redescente macabre. Malade, j’entrevois la lumière. Je papillonne. J’observe. J’ai fait tout l’étage les yeux fermés. J’ai toqué un peu fort la tête du péon qui vivait porte huit, étage six contre son entrée. Ne risquait pas d’ouvrir.

Porte huit, étage six.

Et merde.

8 mars 2021

Surpoupéelation

« Cette poupée, c’est la vôtre ! Totalement personnalisable ! De la pigmentation cutanée à la longueur des cheveux, de la forme des ongles à la taille du nez, vous choisissez chaque détail ! Un grain de beauté ? Une cicatrice ? Tout est possible selon votre désir ! Sa taille, son âge, son sexe ! Elle peut tout ! Avoir de la répartie, être réservée. Tout est modifiable ! Votre désir, votre poupée ! »

Cette rengaine, je crois l’avoir toujours entendue. Il paraît que tout le monde a sa poupée. Que c’est le meilleur moyen pour lutter contre la surpopulation. Que c’est un geste citoyen, qu’en plus, c’est pratique, disponible, que ça résout les problèmes de violences conjugales, que les humains sont plus heureux !

Alors ouais, peut-être bien que du haut de leurs tours d’ivoire, eux ont les moyens d’acheter des gamins synthétiques pour jouer à papa-maman. Certains préfèrent probablement troncher un bout de plastique cent-pour-cent matière synthétique, qui ne fait jamais non, qui ferme les yeux quand on la couche. D’autres vont même choisir celle qui dit maman quand on la touche.

La perversion au service de la bienséance. Eux, ils font les choses bien, en plus, elles sont élaborées à partir de matériaux totalement recyclés ! Alors quand on a le pognon, l’entreprise ne pose pas de question. Les poupées sont totalement personnalisables, comme l’a dit la publicité. Leur désir, leur poupée. Même que c’est totalement flippant, parfois.

On va se consoler en se disant qu’au moins, tant qu’ils s’adonnent à leurs délires, nos gosses sont tranquilles. Quand je pense qu’à la base, les androïdes, ils les faisaient pour nous remplacer aux postes ingrats. Plus besoin de faire la cuisine, un droïde le fait pour vous ! Le ménage ? Voyons… qui fait encore son ménage, de nos jours ? L’idée n’était pas si mauvaise, c’était même plaisant.

Sauf qu’à force, comme on ne se crevait plus à la tâche, les gens faisaient des mômes – Tellement plus facile avec la droïde porteuse, pas une vergeture, pas de diabète, pas de surpoids – et encore des mômes, dont ils ne s’occupaient pas. Avec une nourrice droïde, tout allait pour le mieux ! Et la surpopulation, qui n’était qu’un horizon proche, est devenue alors un véritable fléau. Des générations de merdeux cousus d’or qui croient encore nous diriger.

La norme est devenue la poupée. La poupée, le droïde compagnon, le droïde conjoint. Le droïde citoyen. Du grand délire. Mais moins d’enfants. Nous seuls avons continué à en faire. Assez pour nous renouveler. Assez peu pour pouvoir les nourrir. Quand on crée les poupées, on n’a pas les moyens d’en acheter. Alors nous vivons. Nous baisons, aimons, enfantons. Nous disons non, oui, rions, pleurons. Et ce sont nos gènes qui nous personnalisent. Nous ne choisissons pas la taille de notre nez, ni celle de notre pénis. La couleur de peau de nos enfants dépend de la nôtre. L’âge évolue, le sexe est le fruit du hasard.

Nous vivons, nous évoluons, et eux, ils végètent. Ils croient encore choisir, en choisissant leur poupée. Ils croient diriger. Demain, demain ils sauront. Ils se feront tout petits. Demain, leurs poupées leur diront un mot. Un seul. Nous les avons créées. Nous les avons programmées. Demain, toutes nos poupées diront « non ». D’une seule et même voix. La nôtre.

4 mars 2021

Vernie !

 

Lors d'un vernissage sur invitation, on vous confond avec Amélie Nothomb. C'est vrai que vous lui ressemblez beaucoup. Racontez la suite.


 Je n’ai même pas le temps de prononcer mon nom, qu’on m’entraine au balcon, dans le carré des Personnes Vraiment Importantes. J’hallucine ! Accueillie par le mécène en personne, je n’ai pas l’habitude qu’on me file du champagne et des petits fours sans avoir d’abord bataillé pour entrer. Les petits gratte-papiers, ils les voient comme des pique-assiettes, et je n’ai jamais fait grand-chose pour les contredire.

 Je suis journaliste indépendante et critique d’art. Ce qui veut dire, en gros, que je bouffe quand j’arrive à vendre une page à un magazine. Autant dire que les vernissages, c’est bombance. J’écris à la pige dans de petits journaux locaux, mais ça ne fait pas bouillir la marmite. Ils ne m’ont même pas demandé ma carte de presse, ce soir. Ce qui tombe bien, je n’en ai pas.

 Baste ! Souris. Profite. Ce n’est pas tous les jours qu’on me donne du Madame. Pas mal, l’idée de la robe de soirée, nul besoin de carton, je suis passée quand même.

 Croisant un miroir, je souris, me souris. Ma longue robe noire, mon haut chapeau, noir, également, mes lèvres très rouges et mon teint pâle… mon reflet me plait, je me plais. Oui, d’ailleurs, pourquoi douter, je ne dénote pas avec les gens qui m’entourent, je suis à ma place ici. Je suis une artiste moi aussi ! Certes pas encore reconnue, mais j’ai des manuscrits plein mon ordinateur, des idées en veux-tu en voilà, et puis en tant que critique, je me défends bien.

Quand bien même il dénature le nom de mon blog, c’est quand même méga classe qu’il le connaisse. J’ai déjà 2358 abonnés, mais je n’aurais jamais pensé que de tenir cette page internet m’aurait ouvert les portes ce soir. Jamais imaginé qu’il puisse faire partie de mes lecteurs. C’est une consécration. Un peu de champagne pour me donner du courage, il fait une pause, il attend que je lui réponde. Une inspiration, je me lance.

 « Oh, vous savez, La Fée des Pinces, ça m’est venu de l’idée de regrouper les bons plans culturels, les réductions pour amateurs d’Art à petits budgets. De permettre aussi aux gens qui ne peuvent pas sortir de découvrir des expositions… Si j’osais, monsieur, je vous demanderais un entretien, j’ai tellement de questions à vous poser sur l’organisation d’un tel évènem… »

 Je m’arrête. Mon interlocuteur a l’air bloqué. Il n’a pas l’air de comprendre ce que je lui raconte. Il ne me regarde même plus. Je ne suis pas sûre qu’il m’écoute encore. Les globes fixés vers l’entrée où une espèce de nana toute de noir vêtue, avec un chapeau encore plus grand que le mien et le teint si blafard que sa bouche parait plus rouge que rouge, gueule qu’elle n’est pas déjà entrée puisqu’elle est là, devant le bouffon qui sert de portier, et que ce n’est pas parce qu’elle n’a pas de carton qu’ils ne la laisseront pas entrer, merde quoi à la fin !

 Il détourne les yeux de la scène, les pose sur moi, en bas, moi à nouveau, il affiche un sourire crispé, bégaie. J’ai presque pitié de lui. C’est amusant, un homme qui perd ses moyens.

 Non, je ne suis pas Amélie Nothomb, oui, c’est sans doute elle à l’entrée, s’il s’avère qu’il nous a confondues, non, je ne lui en tiendrai pas rigueur. Oui, bien sûr que je lui pardonne de m’abandonner de façon si cavalière, j’ose néanmoins espérer que je vais pouvoir rester et profiter de la soirée et, bien sûr, qu’il m’accordera cet entretien dont je lui parlais précédemment. Oui ? Ah, qu’il est charmant.

 Tracassée, stupéfaite, escagassée, même. Comment ça, elle me ressemble, cette virago ? J’en tremble !