Encore deux ou trois ventes et après, je rentre !
Le soleil disparaissait déjà à l’horizon. La journée avait été
particulièrement mauvaise et je n’arrivais pas à me résoudre à
remballer. Pas avec si peu de chiffre, mes derniers jours avaient été
lamentables. Mon patron me passerait un savon, ma femme ne manquerait
pas de me loger à l’auberge du cul tourné, ce n’était pas possible de
conclure ainsi.
La maison suivante présentait bien. Si j’arrivais
à passer le cap de l’interphone, j’étais persuadé que je pourrais
persuader l’habitant de cette demeure cossue d’acheter ma marchandise.
Avec un peu de chance, même, ce serait l’habitante, une femme qui
souhaiterait faire plaisir à son époux avec un cadeau à l’aune de
l’amour qu’elle lui porte. Le prix, surtout, serait à la hauteur, lui
servirait de sauf-conduit pour ses prochaines dépenses.
Trêve de
réflexions, je sonnais. Je n’eus pas même l’occasion d’entamer mon
baratin que le portail s’ouvrait. Trainant ma lourde valise, je
maudissais les gravillons de l’allée. Une entrée de riches, faite pour
les voitures, à l’avenant du parc et de la demeure. Tandis que
j’avançais, je remarquai de nombreuses voitures stationnées. Loin de
m’intimider, l’idée me réjouit. De potentiels clients en sus !
La
porte d’entrée s’ouvrit avant même que je n’actionne le heurtoir de
l’imposante porte en bois noble. Un domestique m’accueillit sans
prononcer un mot, prit ma valise et me guida à travers des pièces plus
grandes que mon appartement. Nous ne croisâmes personne d’autre. La
maison – pouvait-elle prétendre à ce nom ? – était démesurée. Je
n’aurais pu imaginer parcourir une telle distance en l’observant depuis
la rue. Ereinté par ma cuisante journée d’échecs, je ne posais aucune
question au larbin qui ouvrait la marche, mes jambes avançaient par
automatisme.
Le domestique restait désespérément muet et je
n’osais briser ce silence. Il nous fallut quelques minutes pour
atteindre une porte plus massive encore que celle de l’entrée. Elle
s’ouvrit sur une immense pièce voutée. Les murs étaient faits de lourdes
pierres, une faible luminosité provenait de flambeaux. Un collège
d’hommes en robes noires se tenait en arc de cercle devant moi.
Une
poussée dans mon dos me propulsa dans cet antre étrange. La porte
claqua dans mon dos, quand je tentai de reculer, je me pris les jambes
dans la valise que l’homme avait fait entrer avec moi. Je me rétablis de
justesse. Mortifié. Quel mauvais départ pour une vente !
Prenant
mon courage à une main, l’autre s’étant saisie de la poignée de ma
valise, j’avançais, me raclais la gorge, tentant de reprendre
contenance, et amorçai mon discours. Je n’avais jamais été aussi
mauvais. Ma voix tremblait, j’échouais deux fois avant de réussir à
ouvrir ma valise, et je n’osais pas regarder ces hommes qui me faisaient
face. Ils me laissèrent finir sans m’interrompre, prenant soin de
garder une certaine distance.
Je risquais un regard vers eux. Ils
me regardaient tous avec une certaine pitié. Ils s‘étaient approchés,
je pus mieux voir leurs visages blafards. Un prit la parole, dévoilant
deux terrifiantes canines pointues.
- T’es tellement chiant que tu nous as coupé l’appétit. Dehors.
Je
repassai la porte dans un état second, mon cerveau refusant d’admettre
ce qui s’était passé. En passant le portail, pour la première fois de ma
vie, je me sentis exister. Qu’importe ce que dirait le patron, ou ma
femme. Ils ne m’avaient pas mangé.