20 décembre 2010

Une histoire de truffes

Sens ! Sens ! Il n’a que ce mot à la bouche. Comme si je pouvais encore sentir quelque chose ! Je sais que c’est dans mes gênes, que je devrais avoir un odorat surdéveloppé, que mon grand père savait trouver les truffes comme personne... Je sais qu’il s’est saigné aux quatre veines pour m’acquérir, que son budget ne s’en est pas encore remis et qu’il bouffe des patates depuis qu’il m’a parce qu’il me réserve la viande.

À l’image de ces gens qui roulent en grosses berlines et puent le parfum bon marché. Je le sais. Et ce n’est pas faute d’essayer ! Je l’ai reniflé son jus de truffe, et pas qu’un peu ! Même qu’une fois, sans qu’il me voie faire, j’y ai mis la langue, pour avoir le goût, me disant que ça serait plus facile comme ça. C’était dégueulasse. Non, sérieux. Il m’a acheté pour lui trouver de la merde qui n’en a même pas la saveur ! Rien ! Que dalle !

Ah, vous, on voit que vous ne connaissez pas nos bêtes. Que du naturel, elles mangent ! Enfin, de nos jours, ça ne veut plus dire grand-chose, naturel. Savez, les pesticides, les machins qu’ont faits que le maitre n’a plus de cheveux et qu’il crache tout noir. Non, il ne fume pas - ça nuirait à mon odorat - mauvaise langue ! Oui, je répète, mauvaise langue ! N’avez aucun goût de toutes façons, savez pas apprécier un étron à sa juste valeur.

Enfin, il voudrait que je sente, il ne fume pas, c’est bien. Sauf que je crois qu’il n’a pas regardé la gueule de l’air. Ni celle de la terre. Ses truffes, il peut se les coller où je pense, encore que si on avait eu un Tchernobyl, les champis, ils auraient gagné en couleurs, mais là, là… Evolution qu’ils appellent ça. Je ne peux même pas pisser sur les pieds des plantes ! Non ! Culture hors sol, monsieur ! Et un pied ça te fait un champ ! Hop, t’en fous un dans la machine, il se transforme en plein !

Il a essayé avec moi, mais ça n’a pas marché. Par contre, j’avais beaucoup plus de puces ! Elles sont toutes mortes. Sans me gratter. L’air qu’a fait ça, pas assez résistantes. Que mes premières qui sont restées. Sens, sens. Oui, maitre, j’ai compris, et oui, je sais, si je veux manger ton steak quotidien, il faut que je te trouve une merde sans goût. Ton or noir… Hé, patron, tu sais que l’or n’a plus de valeur ? Le crack qu’ils appellent ça, une vraie daube, il parait… Ouais, comme ton champi !

Trois jours qu’on tourne en rond, que je respire du rien dans une nature sans odeur. Pas de bruit autour de nous, plus d’oiseaux, plus de gibier. Les seules bêtes du coin sont celles que tu élèves dans ton bunker. J’ai faim. J’ai rien trouvé. Tu m’as bien fait comprendre que si je voulais manger, il fallait que je trouve. J’ai mal au ventre. Je la sens la douleur. Et toi, sens-tu mes crocs sur ta gorge ? Moi, je les sens. Je sens surtout un goût. Un goût qu’on n’oublie pas, un goût qui ne s’invente pas. Un goût, vrai. Le goût du sang.

18 décembre 2010

Une ration douteuse

Il me le paiera. Je trouverai le moyen. Il n’avait pas le droit de faire cela. Pas le droit. Pas elle. Pas comme ça ! L’ombre de son corps pendu se profile face à la lune. Il n’avait pas le droit ! Elle était tout pour moi. Tout. Ma confidente, mon amie, mon défouloir à envie… Envies d’elle, de la frapper, de l’aimer. Envie d’elle, surtout. Ma vie ! Tout ce qui me restait. Et elle avait eu le malheur d’avoir faim.

Alors elle mangea, trois fois rien, un morceau de viande qui lui faisait envie. Quelque chose qui l’a transformée. Elle n’acceptait plus mes coups. Et cette puissance qu’elle dégageait me la faisait aimer plus encore. Et tous ceux qui l’avaient brimée se sont mis à disparaitre. Et tous l’avaient fait. Un par un. Régulièrement. Tous les trois jours. Il ne restait plus que nous. Lui, et moi. Et elle, plus belle que jamais.

Chaque nuit nos étreintes se faisaient plus violentes. Je l’entendais, lui, dans la baraque d’à côté, il tremblait. Non pas de peur… Lui aussi se faisait violence, dira-t-on. Il devait être le suivant, et il savait ce qu’il lui restait à faire s’il voulait survivre. Il l’agressa alors qu’elle me chevauchait. Dans le même temps, il m’administra un sédatif, virulent. Elle respirait encore. Et je l’ai vu faire. La trainer à la potence. Et moi, incapable de réagir.

Je ne pouvais plus bouger. J’ai regardé cet homme passer la chaine au cou de ma femme, embrasser sa bouche inerte, caresser son corps groggy longuement. Jaloux de nos étreintes. Se frotter à elle. Ultime salissure. Les larmes coulaient sur mes joues. Je voulais hurler, lui promettre mille tortures, mais aucun son ne daignait sortir de ma bouche endormie. Et sa nuque se rompit. Je ne pus détacher mes yeux du cadavre qui se mouvait au gré de la brise.

Il aurait dû y passer ce soir. Alors il y passera. L’effet s’est dissipé, je vais détacher son cadavre. Je la porte, délicatement, jusqu’au crémato. Amoureusement, je la découpe, morceau par morceau. Elle n’est pas tout à fait raide, pas tout à fait froide. Je m’attends presque à la voir me sourire, me sauter dessus pour me dévorer sauvagement. Enfin, m’embrasser. Et me dire que ce n’est qu'une blague.

Je rêve… Elle est morte. Et bien morte. Il parait que si elle avait fait cuire sa viande, elle n’aurait pas contracté cette maladie. Je vais donc la faire cuire. En la mangeant, petit à petit, je pourrai survivre. Si je tombe malade, dans trois jours, je serai mort. Je vivrai, pour elle. Je ferai tout ce qu’elle rêvait de faire, et je le tuerai. Ce soir. J’ai un plan.

Je découpe sa chair tendre, délicatement. Je vais même pousser la chose jusqu’à lui offrir un des meilleurs morceaux. Je les fais cuire, tout comme il faut. Et puis je prépare tout. J’avais préparé, pour le cas où, une fiole à avaler pour me tuer et qu’elle meurt avec moi. Mon corps empoisonné lui aurait permis de s’éteindre sans la faim. Une douce fin, en somme. Là, je l’injecte dans la ration que je réserve à ce salopard. Plusieurs seront négligemment disposées. En mangeant la première, il prendra confiance…

Je mets la viande à sécher, dans la pièce où je dors, demain, je ferai en sorte qu’il me voit tenter de me dissimuler. Il tombera dans le panneau, j’en suis sûr. Manger la femme qu’il n’aura jamais pu pénétrer… Des mois qu’il la lorgnait cet empaffé. Des mois… Et il l’a tuée ! Je la lui aurais prêtée, moi, s’il avait demandé ! Tant qu’il me la laissait en vie, pour moi. Pourquoi je l’ai fait cuire ? Hein ? Elle pouvait encore servir.

Il fait froid tout à coup. Je me suis endormi en songeant à combien j’étais bête de ne l’avoir pas gardée encore. Le feu est éteint, la porte est entrouverte, je croyais l’avoir fermée derrière moi. Ma viande n’est plus là. Il a tout pris, tout. Ou presque. Il reste un morceau ici. Et j’ai faim. Les émotions qui creusent. Un doute m’assaille alors que je mastique. Et s’il savait ?

8 décembre 2010

Maman

Un kimono de soie rouge, sur ma peau lisse. J’aime cette sensation, je l’aime beaucoup. Et je joue, je joue. Je suis toute nue en dessous. - Les culottes jolies étaient trop grandes. - Je me regarde dans le miroir, j’incline la tête, je me souris. C’est vrai que je suis jolie ! J’entortille une mèche de cheveux sur mon doigt mouillé… Elle fait souvent ça. Et puis j’entrouvre le vêtement qui laisse apparaitre une poitrine bien trop plate, mais c’est normal, j’ai sept ans.

Je m’en fiche, d’abord, parce que je sais que ça viendra. Chaque chose dans son temps, qu’elle dit, maman. Alors j’attends. J’ai plein de jolis habits, même que mes copines sont jalouses. J’ai tout ce que je veux ! Tout tout tout ! Ma tirelire est pleine, mais elle ne fait pas de bruit. Tous les matins, maman elle met un billet dedans. Des billets verts, je sais même pas combien ça fait, puis je n’ai pas le droit de l’ouvrir, le cochon.

J’ai tout ce qui me plait, maman achète des choses que je n’ai même pas le temps de lui demander. Elle est trop forte, maman. J’ai tout, sauf un papa à la maison. Mais c’est parce que mon papa il est explorateur du monde. C’est pour ça qu’il n’est jamais là. Je sais qu’un jour il viendra me chercher pour que je sois aventurière du fond des océans avec lui et qu’on trouvera des trésors que personne ne sait qu’ils sont dans le fond de l’eau.

Et on sera riches ! Et papa il n’aura plus besoin de faire l’explorateur et il reviendra vivre avec maman. Et ouais ! Et ça, ce sera grâce à moi ! Puis je lui rendrai son mouchoir aussi, celui avec le latin qui dit ce qu’il est. Ex Libris, c’est marqué dessus. - Explorateur Libre. - Je l’ai trouvé dans le fond du tiroir de maman, celui où qu’elle met les trucs qu’on ne touche pas parce que c’est vieux, ou pas beau, ou que c’est un souvenir qu’on aime beaucoup. Ça, elle l’aime. Je le sais.

 Le matin, après qu’elle a mis les sous, maman va se coucher. Elle part toujours quand je me suis endormie et revient quand je me lève. Tout pile. Elle est douée, maman. Le matin, faut pas trop lui parler parce que comme elle piétine tout plein, elle a mal aux pieds et ça lui fait mal dans le haut des jambes. Et puis son maquillage - parce qu’elle se maquille, maman, et bien !- ben son maquillage, il a tout coulé. Et elle va se coucher comme ça, toute habillée dans ses vêtements de la nuit.

Je sais qu’elle est courageuse, ma maman, c’est la plus forte du monde. Mais je n’ai même pas le droit de parler de ça, mamy l’a interdit. Pas le droit. Je dois dire que maman elle travaille dans un bar, alors que ce n’est pas vrai. Je sais, elle ne sent pas l’alcool du tout. Et puis, elle dit qu’elle a froid dehors, que les trottoirs sont dégueulasses et qu’ils pourraient ramasser les merdes de leurs clebs, non mais c’est vrai quoi à la fin.

Mamy, elle n’est pas très gentille avec maman, elle lui dit des trucs comme quoi qu’elle est la honte de la famille, qu’elle savait qu’elle tournerait mal, que c’était la faute à son mari, qu’elle n‘aurait pas dû la laisser aller chez ce débauché, que ses amis n’étaient pas discrets, qu’elle avait vu des choses, et peut être même qu’elle les avait aguichés, la connaissant ! Alors, moi je lui ai dit à mamy que je m’en fichais que maman travaille tard le soir, et que plus tard, je ferai comme maman !

23 novembre 2010

Hic

Rester ici ou partir, cela revenait au même. Il aurait gagné. Et ça la mettait hors d’elle. Plus encore que ce débat stérile qui les occupait depuis le début de la journée. Quelque chose qui était parti d’un rien du tout, d’une broutille à propos de sa nouvelle robe. Il s’était mis à critiquer, elle avait défendu, pour la forme, ce couturier qui avait fait un travail de sagouin.

Il avait haussé le ton, comme d’habitude. Elle, réprimant un sourire avait enchainé. Et puis il avait dit quelque chose. Quelque chose d’impardonnable. « On ne peut pas parler avec les femmes. » Ce n’était pas tant la phrase qui la mettait hors d’elle, non. C’était le ton. Il était on ne peut plus sérieux. Il l’avait regardée dans les yeux, énonçant cette phrase comme une vérité. La vérité.

Alors elle avait crié, cette imbécile, lui prouvant par là même qu’il avait raison. S’en voulant au fur et à mesure que son ton montait, que les larmes envahissaient ses yeux. Sa voix restait ferme malgré les sanglots qui la guettaient. Il ne comprenait donc rien ? S’était-elle fourvoyée à ce point ? Ne savait-il pas qu’elle jouait tout le temps ?

Même leurs engueulades… Surtout leurs engueulades ! Ces prises de becs faisaient partie de leur quotidien, lui donnant du relief, un intérêt. C’était quand même plus transcendant qu’un « Passe-moi le sel. » ! Le souci qu’elle avait avec l’homme de sa vie, c’est qu’elle était foncièrement d’accord sur tout ce qu’il disait. Absolument tout. Qui se ressemble, s’assemble…

Au bout de quelques années de bonheur parfait, de félicité sans tache, elle en avait eu marre. N’auraient plus manqué qu’un ciel rose, des petits bonbons en guise de pluie s’échappant de nuages de barbe à papa, des murs en pain d’épice… Cela aurait été le pays des rêves ! Rien qu’à y songer, elle en avait la nausée. Et non. Elle n’était pas enceinte.

A son grand dam. C’était la grande déception de sa vie. Ne pas avoir amené sur cette terre de bambin à aimer. Ne pas avoir meublé cette maison de cris d’enfants. Cette trop grande maison. Préparée pour une famille qu’ils ne purent jamais construire. Alors elle avait meublé le silence. En jouant celle qui n’était pas d’accord, provoquant ses colères. Provocant la vie dans la monotonie.

Lui ne voyait pas ça sous cet angle. Il n’avait pas compris. Il ne la comprenait plus, ne la reconnaissait plus. Où donc était cette femme qu’il avait épousée ? Où donc était celle qui le comprenait à demi-mot, sans mot, même, celle qui finissait ses phrases à sa place, lui souriait, l’embrassait sans raison ? Ce n’était pas cette mégère qui avait toujours quelque amertume au bec.

Ça non, ce n’était pas elle. Il ne pouvait plus rien dire sans qu’elle prenne la mouche. Rien. Même les compliments. Et elle criait avec le sourire. Il ne supportait plus. Il ne la supportait vraiment plus. Cette phrase qui l’avait énervée, sans sourire semble-t-il, sans l’ironie qu’elle mettait dans ses propos d’ordinaire, il l’avait pensée. Réellement. Il ne pouvait plus parler avec sa femme.

Il était sorti, sans claquer la porte. Non. Tout doucement. Sans rien ajouter. Elle ne partirait pas. Mais elle ne resterait pas non plus. Elle s’enferma dans la chambre qui aurait dû accueillir son premier né, avala des pilules en nombre non négligeable et se blottit dans ce lit de bébé grand modèle qui l’avait séduite. Rester ici ou partir, cela revenait au même. Elle avait fait les deux.

22 novembre 2010

Fils d'Ouranos

Borgne. Il n’avait qu’un œil.  Né ainsi, dira-t-on pour simplifier les choses. Si on étoffait un peu l’histoire, on apprendrait que sa mère n’avait guère une hygiène irréprochable et que son entrejambe était telle que lorsqu’elle a mis bas, les germes ont attaqué la cornée du môme et qu’on n’a pu lui sauver qu’un seule organe visuel. En sus de son hygiène déplorable, sa bourse était de même. Sauver les deux ne fut pas envisageable.

Il a donc été amputé. Après quelques mois de souffrance, intense. Cela doit faire de lui le seul homme capable de se souvenir de sa prime enfance. Une brûlure constante, les baumes inutiles qui, non contents de nourrir le germe, attaquaient ses paupières. Ce furent ses larmes qui le sauvèrent, l’autre. Le gauche était mort. Canal lacrymal bouché.

Si on avait consulté de meilleurs médecins, si on avait vu, si on s’était vraiment inquiété… Si, si, si. On aurait pu. Si on s’était donné la peine. Mais on n’avait rien fait. On avait mis de la pommade. Tout plein, trop. On n’avait pas vu qu’un œil ne pouvait plus pleurer. Il en était mort, l’œil. L’enfant n’était pas laid, dérangeant, surtout. Il avait de beaux cheveux et des mains magnifiques… C’était tout ce qu’on osait regarder.

Difficile enfance durant laquelle il lui fallut se protéger des attaques sur la boule qui lui emplissait l’orbite. Attaques qu’il ne voyait pas venir, on y prenait garde. Enfance où il lui fallut supporter les plaisanteries durant les parties de billes. Il trichait, il avait toujours un calot d’avance. Enfance où personne n’incarna mieux que lui, les pirates ou les bandits. Il eut ses bons jours !

Au sein de sa promo, bien plus grand, il acquit de par son bagout, une renommée bien méritée. Nul complexe sur cette orbite de verre rebouchée. On le sacra même roi ! Le roi cyclope ! De sa verve on comprenait que nous n’étions qu’aveugles et qu’il méritait ce titre. Homme devenu, politique, président, peut-être. Un jour, on n’en doutait pas. Puis l’accident.

Fulgurante douleur lorsqu’il s’éveille. Et des souvenirs épars, ancrés dans sa tête, sans vouloir se mettre en ordre. Il souffre. Il porte les mains à sa tête recouverte d’un bandage, tente de se rappeler. Un son, un éclair, une douleur. Le noir. Le noir. Le noir. Et ses mains sur le bandage. Et le bandage sur sa tête. Sur ses yeux. Et le noir. Et la peur. Et le mal. Ce n’était pas un accident.

Campagne électorale, il accompagnait sa tête de liste. Comme souvent. Un reflet qui attira son œil valide. Il se mit, on ne sait pourquoi, peut-être une histoire de meilleure amitié de toute la vie, devant celui qui devait être élu. Un bruit, une douleur, il s’effondra. Il restera endormi longtemps, on n’aura même pas eu besoin de l’endormir pour l’opérer.

L’équipe médicale vient. Le silence est lourd. On a une mauvaise nouvelle à annoncer à monsieur. Que monsieur se rassure, mis à part cela, monsieur n’a rien.

Monsieur tremble. Il a peur de comprendre.

On a tenté de faire ça proprement, de nos jours, ça ne se voit pas, monsieur. On ne pouvait rien faire, vraiment, on est désolé. On va défaire le pansement que monsieur puisse voir par lui même. Heureusement que le gauche n’a rien, pas une égratignure. Mais le droit… Oui, on va le dire, c’est que ce n’est pas facile, monsieur. Monsieur est borgne.

17 novembre 2010

Un dernier repas

Les gens l’énervent. Toujours à vouloir se lier d’amitié, discuter, faire dans le communautaire. On aura tout vu ! Et pourquoi pas de l’entraide, aussi ? Et patati et patata et pour se défendre faudrait ça, ou bien… Sociabilité. Non mais vraiment. Elle a une tronche à se faire des potes, la vieille ? Le premier qui dit oui, elle lui arrache la langue. Avec les dents.

Parce qu’elle a faim. De sang. Et elle vient de se trouver une victime. Elle se mêle plus ou moins à la populace, les laisse parler cubes et constructions, constate que ce sont les mâles avec la testostérone en ébullition qui s’acharnent à vouloir faire le plus gros chantier, le plus mieux, celui qui… Et qu’ils jouent à qui a la plus grosse intelligence pour faire le bon choix de la bonne construction.

Elle, elle s’en fout. Elle a trouvé un chat. Elle l’embarque dans le désert, elle veut lui apprendre la vie. Cette nuit, dès qu’Ils ont reflué, elle est sortie. Son futur casse-dalle aussi. Et d’autres. Elle les a accompagnés un temps, souriant à sa proie, aie confiance. Séparation des groupes. Et elle laisse les gens un par un derrière elle, s’enfonçant dans la nuit, seule.

Seule avec un Minou pas rassuré. A se demander qui d’elle ou de la nuit il craint le plus. Elle le rassure longuement. Elle creuse. Et dans la nuit, le hasard, car il fait bien les choses, le rapproche de sa proie. Il semble aux aguets, dans le doute elle envoie le chat. Il regarde la bête avec un sourire qu’elle ne voit pas. Elle lui en offre un deuxième, de sourire. Sans crier gare, ce qui aurait été débile puisqu’elle se voulait discrète.

Le sang coule de la gorge béante, le corps s’effondre, à genoux. Elle appose ses lèvres sur la plaie, buvant l’hydromel à la source. Quand le flot est moins fort, elle allonge le cadavre encore chaud et entame sa découpe. Quelques bouts pour son félin complice et elle entame son festin. La viande n’est pas trop filandreuse, elle est fière d’elle. Elle sait encore choisir.

Heureusement. Parce que ses cheveux ne sont plus si bruns qu’avant, et ses dents plus aussi présentes. Elle est vieille. Et s’est encore bien rempli la panse. Et la lune rousse, qui surgit de derrière les nuages, donne à cette folle aux cheveux en épis épars et à la peau carminée par le sang, des allures de diable. Lorsqu’elle se retourne pour voir ceux que son festin a attirés, Babette éclate de rire. Sur elle, Ils vont se péter les dents, c’est sûr !

8 novembre 2010

Aujourd'hui.

C’est la première fois que je ne suis pas triste quand elle part. Pourtant auparavant, chaque fois que je l’observais s’éloigner de moi, je subissais cette déchirure que seuls les amoureux connaissent. Quelques pas loin de moi et je crevais d’envie de l’aller retrouver, de la serrer contre moi, tout contre. Je ne cédais pas. Et si son envie d’être avec moi était moins grande que la mienne ? Si elle désirait un peu d’espace ?

Je n’avais pas le droit de l’emprisonner, de l’empêcher de vivre ainsi qu’elle le souhaitait. Non, je n’avais pas le droit. Je me devais de me plier à ses désirs, tous. Sans exception. Aucune. Je lui appartenais, elle était ma vie, toute ma vie. Tout ce qui lui donnait une saveur, une douceur. Un goût que je n’aurais échangé pour rien au monde. Le goût de vivre.

Je ne vivais que pour ces instants passés avec elle. Ces quelques heures qu’elle m’accordait. Ce moment à nul autre semblable qu’elle m’offrait. Qu’elle daignait m’offrir. Et son regard posé sur moi. Qui me transperçait le cœur. Et l’âme. Un regard et j’étais à ses pieds. Lichant le parquet pour qu’il ne la salisse pas. Me couchant dans les flaques pour qu’elles ne la souillent pas. Une image. Oui, c’est une image, bien sûr. Rien qu’une image, bien sûr… Ou pas.

Elle me le demanderait que je le ferais. Ses désirs sont des ordres. Ses désirs font désordre. Quand on la voit danser dans la rue dans sa robe rouge, montrant ses jolies jambes. Je la dévore des yeux. Et je surveille. Farouchement. J’aime qu’on la regarde, conscient de sa beauté. J’aime bien. Mais pas trop ! Elle est mienne ! Encore un peu. Nul n’a le droit de la toucher, de l’embrasser. Nul sinon moi. Elle n’a que mes bras pour la consoler, pour l’étreindre.

Personne. Jamais. J’adorerais. Mais il faut. Il faut que je la laisse vivre cette expérience. Cela fait des mois que je songe à cet instant. Des mois que je sais qu’il le faudra. Qu’il est important que je lui montre que j’ai confiance. En elle. En eux. Ceux qui vont passer tant de temps avec elle. Alors que moi, moi, pauvre hère, j’errerai. En attendant son retour. Je devrai m’empêcher de l’aller guetter. De l’espionner. Elle ne le souffrirait pas.

Ou elle en souffrirait. Peut être verrait-elle cela comme un manque de confiance en elle. Je ne dois pas l’espionner. Et puis, j’ai rencontré l’équipe. Ceux qui seront à ses côtés, les chanceux. Je les ai rencontrés, dévisagés. Soupesé chacun de leurs mots, de leurs gestes. Leurs regards même. Et j’ai décidé d’essayer. Je vais leur confier ma vie. Mon goût, ma vue et mon toucher. Celle qui m’a fait découvrir l’odeur des fleurs.

Ma fille. C’est la rentrée.

6 novembre 2010

Si peu.

Fille d’elle. Tu ne pouvais qu’être fille d’elle. Cette manière de te mouvoir, de me sourire sans me voir. Enjouée un instant et si… Si. Tu étais cela. Si. Je ne savais rien de toi sinon que tu étais fille d’elle. Une enfant à la voix douce, une larme sur ma joue. Tu étais sienne. Tu lui ressemblais. J’ai aimé la voir en toi. J’ai aimé. Je t’ai aimée car tu étais sa fille. À elle.

Étonnant sentiment que celui que tu m’inspires. Une douceur d’interdit qui m’emplit l’intérieur. Ta jeunesse teintée de nostalgie. Ton allégresse au goût de meurtre. Suicide-moi mon amour, que je cesse de ne savoir quoi penser. Ou regarde-moi, que je me noie ! Que je disparaisse dans la noirceur de ton regard. Pourquoi tant de fard ?

Mon phare. Ma lumière.  Ma nuit. Mes jours et mes éveils. Mes songes. Tu me portes, me transportes. Comment ai-je pu vivre avant toi ? Sans toi. Je ne pourrai vivre après ton départ. Et pourtant. Pourtant. Tu vas partir, n’est-ce-pas ? Je le sais bien. Je le refuse. Je l’accepte. Je ne peux rien te refuser. Si ? Tu veux que je te parle d’elle ?

Elle. Elle… Elle ! Ta mère. Ta mère était  ma vie. Ma raison de vivre. L’unique, la seule. Battements de mon cœur. Plusieurs. Un seul. Loupés, les autres. Erratiques. Elle me regardait ! Et je ne voyais qu’elle. Tu l’aurais vue ! Un mouvement et je n’étais plus rien. Un regard et je baissais les yeux. Et elle baisait mes paupières. Ta mère.

Tu étais fille d’elle. Substance pure issue de sa chair. Et je baisais tes paupières. Lors qu’elles étaient natures. Tu dormais d’un sommeil paisible. Ta peau était douce. Sans rature. Un nez un peu trop grand. Tu étais fille de lui, aussi. Tu n’étais pas fille de moi. Tu n’es pas fille de moi. Je t’ai vue naitre, pourtant. D’elle. Sortie de cette fille un peu femme. Pas encore vraiment. Et déjà mère.

Je n’étais ni père ni homme. Je t’ai vue grandir pourtant. Je t’ai vue sourire. Le temps passant, suis devenu confident. Fille d’elle. Tu ne l’as pas tuée. C’est lui qui l’a fait. Elle était trop jeune. Pas encore femme, vraiment. Fière, jeune. Belle. Un sourire personnifié. Mon soleil ! Je l’ai déjà dit ? Je radote. Trop vieux pour toi, sans doute.

Tu étais fille d’elle. Elle n’a jamais été ta mère. Partie aux prémices de ta vie. Tu es fille de lui. Tu es de son sang. Mais pas de son esprit. Tu n’es que fille d’elle. Enlève ce fard qui ne te va pas. Souhaites-tu tant ne plus lui ressembler ? Mais tu es fille d’elle ! Son sang coule dans tes veines. Nectar aux douces palpitations. Tu es fille de son sang.

Je t’ai élevée dans son amour. Je t’ai élevée avec mon amour. Celui que je lui porte. Que je voudrais lui porter. Que j’aurais offert aux enfants qu’elle m’aurait donnés. Si. Si… Si tu n’étais pas fille de lui. S’il n’avait pas abusé. Si tu n’étais pas née. Elle vivrait. Belle. Souriante. Elle vivrait. Si tu n’étais pas née. Et ce n’est même pas ta faute.

Innocente. Il ne saurait y avoir de faute. Naissance assassine. Meurtrier aux yeux noirs. Ta voix est sucre sur mes lèvres. Tes lèvres sont soie sur ma joue. Et je râpe cette douceur. Je pique ! Oh, oui. Je pique. Viens petite fille. Viens que je t’enserre. Dans ces bras. Je ne suis pas ton père. Non. Je ne suis pas ta mère. Mais je peux te parler d’elle, encore.

Dors petite fille. Dors. Tu es fille d’elle. Tu lui ressembles. Si proche. Si différente. Si toi. Et tes yeux trop noirs. Je voudrais la voir encore. Je voudrais l’avoir encore. Je me surprends à te vouloir. Non ! Tu es fille d’elle. Tu es fille d’elle. Enfantée, elle a fait. Élevée, j’ai tenté. En sa mémoire. Tu lui ressembles. Trop. Encore du fard. Plus.

Encore du fard. Coupe tes cheveux. Ne touche plus à ses robes qui te vont si bien. Te dessinant un corps si semblable au sien. Une tombée de reins qui, si elle n’était tienne… Qui m’enchante. Une vision plongeante vers ce que je n’ai pas le droit de contempler. Et que je contemple. Tu dors à mes côtés. Premier rendez-vous.

Tu m’as tout conté. Et j’ai repensé. A ces émois. Nos premiers. Et l’imagination à débordé. Je voyais ta mère. Je la voyais. Plus je te regardais, plus je la voyais. Je te serrais dans mes bras. Plus les années passent moins nous sommes éloignés. Quelques petites années.  Pourquoi attendre, hein ? Tu n’es pas ma fille. Tu n’es pas ma fille !

Mes mains sur tes épaules. Mes lèvres sur ta joue. Oui, je pique. Je te respire. Sa robe et son parfum. Je la vois en toi. Je te serre, fort. Ma bouche se pose, une fois, sur ton épaule. Je soupire, je gémis. Je te souris. Elle me manque. Tu lui ressembles. Tu n’es pas elle. Tu es fille d’elle. Un peu fille de moi. Tu es fille de moi. Tu es fille de moi !

Par pitié. Écarte-toi. Que je t'aime comme il se doit. Que je te borde et ne reste pas. Comme il se doit. Comme je le veux. Tu es fille d'elle. Un peu de moi. Si peu. Trop peu. Assez. Toujours comme il faut. Elle était parfaite. Telle toi. Dors petite fille. Petite fille de moi.

2 novembre 2010

À nu



L’on vous dit intime. L’êtes-vous ? Je veux bien le croire. Il est vrai que souvent, je couche mes envies en votre sein, vous les tatoue sur votre chair tendre, caressant en même temps votre épiderme. L’on vous dit intime. Vous savez tout de moi. Sans doute l’êtes-vous. J’ai glissé en vos entrailles mes terreurs les plus profondes, enfoui dans votre blancheur, mes désirs inassouvis. J’ai murmuré des choses à votre intention que nul n’a jamais entendues.

Et n’entendra jamais.

De Paris à New-York, jamais ne m’avez quittée. Jamais fait défaut. Votre peau se fatigue, je vous maltraite. Collé contre mon épiderme frémissant, tout contre, vous avez goûté de ma sueur. Et elle vous a changé. De chocolat, vous êtes passé par d’autres teintes, vous avez gagné des motifs, charmantes auréoles. Et au fil du temps, de mes gravures, votre intérieur s’est modifié. Il a gagné en encre. Et ces tatouages, intimes, ne sont réservés qu’à moi.

Ou à qui pourrait en être digne.

Il n’existe pas encore, celui-là. Pas dans ma vie, en tous cas. Alors je lui écris. À travers vous. Et je vous garde jalousement. Rien qu’à moi, vous êtes. Et je continue à vous triturer les entrailles pour y tracer mes maux. Ne me laisserez pas tomber, hein ? Je compte sur vous. Et je vous offrirai mon premier émoi ! S’il vient. Je vous le réserve. Je vous le promets. Restez avec moi, il reste tant de blancs à emplir.

Je vous prendrai sur l’envers.

Et vous emplirai en partant de l’autre bord. Celui qui pour l’instant épouse chaque immondice lorsque je vous pose. Cette partie de votre peau qui jamais ne se plaint. Sauce tomate mal essuyée, miettes et autres cendres. Je devrais être plus douce avec vous. Afin de vous conserver plus longtemps, tenter de vous offrir une longue vie, un peu d’hygiène, avoir quelque considération. Je le sais bien, allez, je le sais bien.

Mais je ne sais pas faire.

Je suis désolée. Tellement désolée. Je vous ai délaissé ! Je n’aurais pas dû. Je n’aurais pas dû ! J’ai cru, vous savez, j’ai cru trouver ce qui me manquait. Oh voilà que je vous trempe. Je vous prie de bien vouloir pardonner cet abandon de ma part, ce dernier mauvais traitement que je vous ai fait subir. Vous, vous qui avez toujours été présent, toujours. J’ai cru à de belles paroles, j’y ai cru, et comme je ne sais pas faire, j’ai fait ce qui me semblait le plus juste.

Je vous ai offert.

Vous. Je vous ai offert. Ecrire encore ces mots ne fait qu’accentuer ma honte. Je vous ai ouvert, vous, mon cœur, je vous ai ouvert parce que je ne sais pas faire. Et ainsi dénudé, je vous ai posé sous ses yeux. Il vous a lancé plus loin et m’a prise dans ses bras. Et je ne voulais pas. Je ne voulais plus. Je ne voyais que vous, ouvert, là bas. Si loin de moi, vous, éventré comme jamais, sans tendresse aucune. Vous que j’avais trahi et qu’on avait repoussé.

Vous. Mon journal.

Intime, l’on vous dit. Et je confirme, vous l’êtes. Je suis en vous bien plus que ces lignes que j’ai tracées, indélébiles. Ma sueur a imprégné votre couverture, mes larmes vos pages, mes mots, mes maux, mes pensées, moi-même. Je vous ai ouvert et l’on ne vous a pas regardé. Je vous ai offert et l’on vous a repoussé. Et je l’ai repoussé, lui, vous ai récupéré et suis rentrée, moitié nue, mais avec vous. 


Je ne vous ai pas perdue

Vous. Mon âme.

25 octobre 2010

Être ou paraitre.



Tu étais un allié implacable ou un ennemi indispensable, un ami, un frère, une sœur. Tu as été mon confident, l’oreille attentive où j’ai glissé tous mes maux. Ma conscience, mon amie, conseillère de mes envies. Mon soleil, vitamine D, nécessaire à ma survie. Mes pensées, c’était toi. Mon souffle, c’était toi. Ma vie. Ma survie. Tu as rythmé les battements de mon cœur, m’apprenant à les calmer, m’apaisant, me calmant.

Mon pire ennemi. Celui que l’on hait plus que tout, qu’on voudrait voir disparaitre. Celui dont on ne souffre plus le portrait. Qu’on voudrait défigurer. Celui sur lequel on crache, sur lequel on se défoule. Celui contre qui on n’a jamais été aussi violent qu’avec quiconque. Je t’ai haï. Fort. Plus fort que tout. Je t’ai détruit, petit à petit. Te haïr m’a fait vivre. Oui. Éprouver de la haine, c’est éprouver un sentiment. Avoir des sentiments, c’est être vivant.

Je hais donc je suis. Tu as été mon meilleur ami, l’allié de toutes mes conneries. Toujours présent, toujours partant. Jamais non, hein. Jamais. Mais tu n’oubliais jamais de me souffler le petit détail qui gâchait mon plaisir. Consciencieusement. Me rappeler chaque erreur. Souvent, j’ai cru que tu avais fumé la moquette. Et j’ai ouvert les yeux. Pointer du doigt chacune de mes fautes, c’était ton plaisir, ta jouissance. Et tu me souriais.

Et je te souriais. Et je me confiais ! Curieuse oreille attentive. Tu savais tout de moi, tout. Je ne t’ai rien caché, jamais. Tu connaissais le moindre de mes défauts, et mes qualités, moindres. Tout. Tu savais tout. Tu m’avais collé sur le front l’étiquette « attention, fragile » On s’est foutu de moi, on me regardait de travers. Et moi, j’étais persuadée que tu me protégeais des regards de on… Mais non, tu étais derrière on, tu motivais on, tu…

Tu m’as jetée parce que je ne t’amusais plus. Je ne réagissais plus aux moqueries, elles semblaient me glisser dessus. Et on ne m’atteignait plus. Toi non plus. Plus rien ne m’atteignait. Je t’ai aimé. Je t’ai aimé plus fort que je ne m’aimais moi. Mais je vais te détruire, enfin. Entièrement. Complètement. Il ne restera rien de toi. Rien. Et un rictus étire, à peine, mes lèvres sèches. Oui, je ne souris plus, je n’en ai plus la force. Mais j’atteins mon but.

Aujourd’hui, toi qui as été si longtemps ma raison de vivre, aujourd’hui, tu vas disparaitre. Tu n'as plus d'importance, aucune. Je ne songe qu'à ta destruction... Bientôt rongée par les vers, pour ce qu’il restera à ronger. Oui, il y a quelques jours que j’ai arraché ce tuyau qui me force à me nourrir. Et je le sens, je faiblis. Tu ne m’emmerderas plus. Jamais.

Ô, toi.

Mon apparence.

11 octobre 2010

M'sieur l'agent, dis.



Maman a disparu. Cela fait quatre jours. Maman… T’es où, maman ? Maman elle était fatiguée, elle me regardait avec des yeux tristes, souvent… Et elle a disparu. Une caresse, des je t’aime. Mais moi aussi je t’aime maman, pourquoi tu me regardes comme ça ? Tu vas pas mourir hein ? Ou moi ? Dis ce qui ne va pas… Maman !

Et maman a disparu. Depuis quatre jours.  J’ai décidé de mener mon enquête... L’autre soir, avant de disparaitre, je l’entendais qui criait qu’elle avait mal ! Et puis, ça fait un moment que je n’entends plus les bruits qu’elle dit qu’elle aime ça dans la chambre. Donc, un souci avec papa. Je crois que papa il a tué maman…

Surtout que quand elle a dit qu’elle avait mal, il est parti avec. Maman a disparu. C’est papa qui l’a tué. Mais si je vous le dis monsieur le policier ! Et moi, on m’a dit, quand tu as un problème qu’est important qu’est pas un problème de maths, faut en parler à la police ! Alors, je vous ai vu dans la rue et je suis venu.

Quatre jours ! Pas de nouvelles… Papa il est là des fois, il dit rien. Il boit, il dort. Il fait chauffer de la nourriture de je suis à la bourre j’ai pas le temps de faire autre chose. Après, il repart. Il a les yeux rouges. Je crois que papa, il regrette. Vous l’imaginez venir me voir pour m’avouer tout ça ? Moi, je suis sûr que c’est lui.

Maman elle m’avait dit qu’elle était en sainte. Je sais bien, c’est une fille. C’est normal. Nous les garçons, on n’a pas de seins. Et puis elle a le gros ventre qu’est venu. C’est pas beau. Du tout.  J’aime quand maman elle a son ventre plat et qu’elle peut me serrer contre elle, sinon, c’est pas drôle, faut faire gaffe, et en plus, la maladie du ventre, elle donne des coups.

Des fois, elle m’a parlé de ma chambre que je devrai partager… J’écoutais pas. Quand elle me parlait de trucs comme ça…  Je mangeais une glace.  Elle m’offrait toujours une glace pour parler. Et moi, je préfère la glace que parler. Des fois, c’était une glace et un jouet. Alors vous pensez bien que j’écoutais pas non plus, moi, je jouais !

Vous croyez que maman elle va arrêter d’être morte monsieur le policier ? Ça vous fait rire, c’est pourquoi ? C’est parce que vous pensez que maman elle avait un bébé dans le ventre ? C’est ça ? Donc si elle parlait de la chambre, c’était pour que le bébé dorme avec moi ? Et elle va revenir avec le bébé et on va tous être contents et en fait elle n’est pas morte ?

Vite, vite ! Rentrer ! La voiture de papa est devant la maison ! Maman va sortir. Et puis elle va me prendre dans ses bras et me serrer contre son ventre qu’est vide. Maman ! Je crie, je cours ! Si je pouvais, je volerais pour aller plus vite, pour retrouver maman, vite… vite ! Maman !

Maman ?

A deux pas de la voiture, je m’arrête. Pourquoi c’est mamie qui sort de la voiture avec un paquet dans les bras ? Pourquoi elle aussi elle a les yeux tout rouges ? Où elle est maman ?

Papa ! Elle est où maman ? Et arrête de me regarder comme ça ! Dis-moi ! Je suis grand maintenant !

J’observe le paquet.

C’est pas papa qu’a tué maman, non.

C’est ma petite sœur.

2 octobre 2010

Opale


 Opale, toute première nouvelle... Oublié de l'afficher...

Eau-pâle, un nom que celui qui devint son père lui a donné le jour où il l’a trouvée. Elle n’a jamais su pourquoi, étant donné qu’il est décédé il y a peu, il lui sera difficile de connaitre ses intentions. Aujourd’hui, c’est loin d’être son principal souci.
Il serait d’ailleurs bon qu’elle arrête de tergiverser et qu’elle se décide ; doit-elle faire face à ses ennemis ou bien faut-il qu’elle s’enfuie ? D’ailleurs si elle fuit, où fuir ? Doit-elle se rendre ? Non, cela ne lui ressemble pas, non pas qu’elle se prenne pour une grande dame fière avec des principes et tout ça, mais tout simplement parce que ce n’est pas dans son tempérament que d’abandonner. D’après elle ses poursuivants sont moins d’une dizaine, ce qui est déjà bien trop à son goût. Avancer plus loin, toujours plus loin, prendre de l’avance, toujours quelques mètres de plus, voilà ce qu’elle fait depuis deux jours. Deux longues journées et une nuit à marcher, à courir, à essayer de mêler ses traces à celles d’animaux. Là, après cet arbre, un ruisseau, elle pourra se désaltérer, à défaut de se sustenter. La jeune fille prend garde à chacun de ses pas, mais se prend malgré tout le pied dans une racine et s’étale de tout son long. Des larmes de rage et d’épuisement perlent à ses yeux. Elle se relève et avance, les yeux brillants, un peu fiévreuse ; elle n’en parait que plus farouche, volontaire. Elle ne s’est jamais aventurée aussi loin sur les terres de chasse du Roy. – Prie Eau-pâle, prie pour qu’il ne se joigne pas à la chasse folle dont tu es le gibier. – Elle veut accélérer le rythme mais son pas se fait plus lourd ; sa vigilance s’amoindrit quant aux traces qu’elle laisse. Elle ne sait plus dans quelle direction aller ; elle s’arrête pour reprendre son souffle et tenter de se repérer au milieu de cette forêt inconnue.
Une branche craque derrière elle la faisant sursauter. Elle se retourne d’un geste et a juste le temps d’apercevoir un blason jusqu’alors inconnu avant de se faire assommer.

Eau-pâle s’éveille, un réveil douloureux, sa tête la lance, le sang pulse à ses tempes. Ses mains sont entravées, des cordages pénètrent ses poignets. Il fait très sombre, elle avance un peu et atteint un mur. Celui d’un souterrain visiblement, au touché de la pierre suintante, un cachot, elle s’en doutait au vu de la noirceur de la nuit et de l’air vicié environnant. Elle aimerait vraiment savoir ce que ces hommes lui veulent, ce qu’ils lui reprochent, ces hommes étranges vêtus de noir, avec au coté une croix, rouge, décorée. – Regarde-toi, Eau-pâle, regarde cette peau blafarde et tes cheveux couleur de feu, ils te prennent pour une renarde, une sorcière. – Elle souffre à cause des liens, un gémissement étouffé lui échappe. – Plains-toi en silence Eau-pâle. – elle serre les dents. Une sensation de chaleur envahit ses poignets, s’intensifie, mais reste supportable. Elle observe, pétrifiée, ses liens qui se désagrègent petit à petit.
Elle n’a pas le temps de se poser des questions, tout à l’heure – Tout à l’heure ? Depuis combien de temps es tu là Eau-pâle ? – cela lui a valu de se faire prendre. Elle cherche, à tâtons, une ouverture, une porte, mais rien. Elle ne perçoit aucune fissure, pas un courant d’air, elle est bel et bien enfermée. La pièce mesure une demi-douzaine de pas de long et autant de large. Eau-pâle se met à tapoter la pierre, de plus en plus fort, cherchant un passage – A moins que tu ne sois emmurée vivante, Eau-pâle, emmurée vivante, tu y as pensé ? – la panique entame sa montée, s’emparant d’elle petit à petit, son pouls s’accélère tout d’abord, puis sa respiration, ses membres se crispent et ses jambes se dérobent ; la sortie, trouver la sortie, elle voudrait se mettre à hurler mais les dernières bribes de volonté qui lui restent l’en empêchent, elle aspire à grandes goulées cet air fétide, elle veut de l’air, elle... s’arrête net de bouger, son souffle reste coincé dans sa gorge, de la lumière émane d’elle, pas une simple lumière non, une lumière chatoyante, mouvante, aux couleurs changeantes, comme vivante – Tu es une sorcière Eau-pâle, ils avaient raison – Etrangement cette pensée, loin de la paniquer, la rassure, cela expliquerait pourquoi des gens en veulent à sa vie ; pourtant elle n’a jamais rien fait en ce sens là, jamais dansé dans un cercle de fées ni même possédé de chat.

La jeune fille ne ressent aucune douleur, la chaleur qui la nimbe est semblable à celle qui entourait ses poignets tout à l’heure et a plutôt tendance à la soulager. Elle inspire à fond, plusieurs fois – Du calme, surtout, du calme. Sois opportuniste, tu t’inquièteras de ta condition plus tard. – Ses yeux remarquent un trou dans le mur, à ras du sol, juste assez grand pour la laisser passer. Avant de le franchir elle se retourne, et observe sa geôle, ce qu’elle prenait pour un lit de pierre ressemble plutôt à un autel, des inscriptions, des runes y sont gravées, elle ne connait pas leur signification. L’insolite lumière qui émane de sa personne éclaire son chemin. Eau-pâle avance, au dessus d’elle la voute de pierre, bien que haute, est oppressante ; elle marche durant des heures, puis s’arrête, elle est repassée pour la énième fois devant la sortie de sa cellule et n’a perçu ni ouverture, ni lumière. Elle s’assoit sur une pierre, quelques instants, pour réfléchir à la situation. Des hommes au blason inconnu (ce n’était ni celui du Roy ni un de ses alliés) l’ont prise en chasse lors de l’enterrement de son père ; ils l’ont assommée et transportée ici, mais dans quel but ? Que lui veulent-ils ? Cette cicatrice sur son bas ventre a-t-elle un rapport avec son enfermement ? Un son, lointain la sort de sa rêverie, il lui semble entendre des pas, déjà des questions s’entremêlent en son esprit.

Bastien guide son groupe du donjon à la chapelle, sans oublier de passer par l’immense salle de banquet, riche de ses tables en ormeaux. Les visiteurs apprécient tous la promenade sur les remparts ; l’agrément des récits de batailles ne faisant qu’ajouter au plaisir de la vue. Ce château, perdu au milieu des montagnes, était le centre de bien des conflits. Peu célèbre pour autant, la plupart de ces combats n’ayant aucune source dans la politique. De plus, il est loin d’être luxueux, les tentures et autres tapisseries qui attirent les touristes dans d’autres forteresses lui font défaut. Certains ne viennent que pour cela, loin du faste et des dorures des palais royaux, on observe ici la force brute et le mystère. Ce château en déborde. C’est d’ailleurs ce que Bastien préfère dans son emploi ; après leur avoir montré le château, il guidera les touristes dans les sous-sols. Lieux de tous les mythes, prisons et salles de torture y jouxtent de grandes réserves. On a déblayé un chemin menant à la surface, loin dans les bois, pour sauver les seigneurs en cas de siège. Un petit ruisseau, à présent asséché, traverse les souterrains et surtout, surtout ceux-ci ne sont pas finis d’être explorés. Passionné d’histoire, le jeune homme a trouvé dans ce job, une aubaine lui permettant de faire chaque jour de nouvelles découvertes.

« Par ici messieurs-dames, suivez-moi, s’il vous plait » autant de phrases qu’il répète machinalement, jour après jour ; ça et la tenue ridicule qu’il porte – les guides sont vêtus à la façon de fous du Roi – sont les principaux défauts de son travail. Mais aujourd’hui, lui qui rêvait de changement, va être servi ; à peine arrivé dans les sous-sols il s’arrête net. Il y a de la lumière, or cet après-midi, seul son groupe est censé visiter le château. Il reprend la visite, expliquant à ses retraités, sur le ton de la confidence, qu’un spectacle « sons et lumières » est en préparation et qu’il leur demande donc, avec force clins d’yeux, la plus grande discrétion ; prudemment, il les emmène loin de ce qui semble être sa source. Il l’observe du coin de l’œil, sombre, aux reflets multicolores, telle une aurore boréale. A la fin de la visite, il raccompagne son groupe à la sortie, puis retourne à l’intérieur, plus motivé que jamais.

Eau-pâle tend l’oreille, un seul homme parle, bien qu’ils lui semblent plus nombreux. Elle en déduit qu’il est leur chef. Elle n’arrive pas à entendre ce qu’ils racontent – Ils parlent de toi, Eau-pâle, de ce que tu vas subir – elle tremble, malgré sa volonté de masquer sa peur. Et cette faim qui la tenaille se fait de plus en plus sentir. Elle a incroyablement faim, autant que si on l’avait laissée là plusieurs jours. Ils s’éloignent, elle n’entend plus rien. « Revenez ! J’ai besoin de réponses ! Je veux savoir ! Revenez ! » Les mots restent bloqués sur ses lèvres, son envie d’avoir des réponses se confrontant avec son angoisse de l’avenir.
Elle perçoit à nouveau un bruit, feutré, très léger, le son se rapproche, un pas apparemment, un seul, enfin, elle discerne quelque chose. Une diablerie, sans aucun doute ; une lumière mouvante, étincelante, qui semble sortir d’un bâton. Plus elle s’avance plus la sienne diminue. Derrière, une forme s’approche doucement, se faisant plus distincte ; un homme visiblement, vêtu comme – Ridicule tu ne trouves pas Eau-pâle ? – un bouffon.

Après maintes déambulations, Bastien arrive à la source de lumière ; celle-ci s’est amoindrie au fur et à mesure de son approche, comme pour le guider. Il découvre une jeune femme d’une pâleur extrême, on devine ses veines à travers sa peau, comme si elle n’avait jamais vu le soleil. Ses grands yeux sombres le fixent sans faillir ; le jeune homme y perçoit la volonté de leur propriétaire, avec, toutefois, une trace d’anxiété. Plus il les observe, moins il peut les quitter, s’il s’y laisse aller, il s’y perdra ; de grands yeux noirs, irisés de mille feux, semblables à la lumière qui l’a guidé jusqu’ici. Sa chevelure rousse, accentue encore le caractère farouche de son regard. La jeune femme porte une simple robe de lin. L’œil exercé de l’historien y reconnait une facture du treizième ou quatorzième siècle.

Les minutes passent, le silence se faisant de plus en plus lourd ; se raclant la gorge, Bastien entame le dialogue ; « Qui êtes vous et que faites vous ici mademoiselle ? » la demoiselle en question se relève d’un bond « Pourquoi je suis ici ? Vous avez l’audace de me demander ce que je fais ici alors que j’y suis enfermée depuis des jours ? » Le jeune homme recule d’un pas, décontenancé par la violence de son ton. « Des… des jours ?… Sortons, nous serons plus à même de dénouer cette situation dans la clarté du soleil. » Ils avancent d’un pas tranquille Bastien se présente à elle et apprend qu’elle se prénomme Opale. Le reste du trajet se fait en silence ; le jeune homme est pris par des pensées ambigües. La logique voudrait qu’il parle d’Eau-pâle à son patron, mais il est tombé sous le charme de la demoiselle en détresse. Par chance, à cette heure il est seul au château, il pourra donc la guider sans risque jusqu’à la chambre qu’il occupe dans les anciennes écuries.

La jeune fille est étonnée qu’un saltimbanque soit aussi libre d’aller et venir dans le domaine du Roy. Arrivés au dehors, elle se rend compte qu’elle ne connait aucunement ce lieu, ni le château, ni les montagnes ne lui évoque le moindre souvenir, cette découverte lui arrache un frisson. Bastien l’entraine jusqu’aux écuries où sont aménagées des appartements pour les employés ; heureusement inoccupés en cette saison peu touristique. Toujours silencieux, il l’assoit, lui fait couler un bain et lui prépare des vêtements propres. « Je vais faire la cuisine pendant que vous vous réchaufferez. » Bastien s’installe aux fourneaux pendant que la jeune fille prend son bain ; elle est subjuguée, choquée par tout ce qu’elle découvre ; qu’elle n’est plus dans sa contrée, qu’elle est entourée d’objets inconnus, que le jeune homme serait magicien – l’eau lui obéit, ainsi que le feu –. Elle n’ose prononcer un mot de peur de l’énerver, mais bien qu’effrayée, se sent étrangement en sécurité à ses côtés. Elle enfile une tunique, un grand T-shirt en fait, et s’assoit dans un fauteuil, face à la cheminée, elle s’y endort, épuisée, quelque peu rassurée par la bienveillance du garçon. Sur ce le garçon en question revient des assiettes dans les mains, il les pose sur une petite table et apporte une couverture. Lorsqu’il recouvre la jeune fille, son œil est attiré par un tatouage sur sa nuque, une croix aux branches de même longueur, avec semble-t-il des fleurs de lys à ses extrémités ; il remarque aussi une fine cicatrice à son coté droit et la recouvre vite avant de n’être plus capable de la quitter des yeux.

Le lendemain, Eau-pâle se réveille calme, l’atmosphère de la chambre du jeune homme l’a apaisée, elle n’a toujours pas ses réponses mais s’apprête désormais à affronter la réalité quelle qu’elle soit. Bastien est endormi sur le fauteuil voisin, elle décide d’en profiter pour visiter le reste de l’appartement du jeune homme. Ce reste se résume à une cuisine ; sa faim se réveille à la vue de la nourriture posée sur la table, elle se sert généreusement un morceau de pain – Du pain blanc, Eau-pâle, comme chez Nicolas ! – et croque quelques fruits. Son appétit quelque peu satisfait, elle retourne dans la chambre. Sa robe est en train de sécher, pendue devant la cheminée ; sur le bureau, elle découvre une esquisse que Bastien a effectué lorsqu’elle dormait ; il représente son tatouage, mais elle n’y voit que le blason de ses agresseurs – Trahie Eau-pâle, il t’a trahie, tu t’attendais à quoi ? –. Lorsque le jeune homme se réveille, il la découvre penchée sur lui, tenant à la main le dessin et le fixant d’un regard assassin. Il essaie de lui expliquer la provenance du croquis et devant sa défiance, il lui montre sa nuque grâce à deux miroirs. Elle reste coite un long moment, frottant machinalement le tatouage, comme pour l’effacer.

« Je crois qu’il va falloir qu’on parle, vous vous appelez Opale, mais encore ? De quoi vous rappelez-vous exactement ? » Eau-pâle s’assoit au pied du lit et commence d’une voix monocorde le plus long discours qu’elle ait jamais fait ; « Je m’appelle Eau-pâle, je naquis à un moment incertain entre 1399 et 1401. » Sceptique, et il y a de quoi, Bastien l’écoute, se retenant de faire le moindre commentaire. « Je fus découverte un matin par mon père adoptif qui me donna le nom d’Eau-pâle – je me demande pourquoi d’ailleurs – dans ma quatrième ou cinquième année. Il m’éleva comme sa fille, sa femme est décédée peu après mon adoption ; il restait enfermé des heures durant dans son atelier, m’interdisant de le suivre disant que le moindre courant d’air détruirait son œuvre, d’habitude seuls ses copistes faisaient des œuvres. Un jour il hurla, un cri de joie et après il n’y est plus jamais retourné. Il laissa ses employés gérer sa librairie et nous allâmes nous installer dans sa résidence de campagne. Je tombai malade, et il me soigna. A mon réveil, j’avais cette petite cicatrice ; dès lors, je ne fus plus jamais malade. Notre vie passa, heureuse, je m’amusais au fond des bois, il prenait le soleil sur la terrasse. Il se mit à vieillir très vite, trop vite à mon goût ; je savais qu’il n’était déjà plus tout jeune lors de mon adoption, mais je n’étais pas prête à le voir disparaitre. Dans les derniers jours, il me parlait beaucoup de sa femme, Pernelle, disant qu’il allait la rejoindre bientôt. Au printemps 1417, il mourut. A la fin de l’enterrement, je remarquai un homme étranger au village qui me fixait, couvert d’une cape qui ne laissait voir que ses yeux… un regard qui me fit frissonner. Observant alentours j’eus l’impression d’être épiée de tous côtés et après un dernier regard sur la sépulture de mon père, je fuis. Sans en avoir l’air tout d’abord, mais dès que je me crus hors de portée, je couru. La traque dura deux jours au terme desquels ils m’attrapèrent et m’assommèrent. Je rouvris les yeux sur un autel, dans la cellule dont l’accès se situe là où vous me trouvâtes. »

Bastien ne sait plus que dire, que croire, ni même que penser. Cette histoire lui parait tellement invraisemblable que sa raison lui dit d’ignorer Eau-pâle, d’appeler l’asile de la ville voisine pour savoir s’ils n’ont pas une fugitive, pourtant les sentiments nouveaux qu’il éprouve lui donnent envie de donner crédit à ce récit. Et puis il y a la croix, la fameuse croix. Sur le bureau, elle ne l’a pas remarqué, mais il n’a pas que le dessin, il y a aussi un livre, un livre spécialisé sur l’étude des ordres secrets, le péché mignon de Bastien. D’après cet ouvrage, la croix appartiendrait à une branche de templiers. Alors oui, Bastien sait bien que les templiers ont été dissous au quatorzième siècle, mais cette croix correspondrait à un ordre espagnol, et puis des bruits courent qu’ils n’auraient jamais tout à fait disparus... Il se penche vers la voyageuse du temps « Il y a une autre question d’importance que je voulais vous poser, d’où venait la lumière qui m’a guidée à vous ? » La jeune fille ne sait que répondre, doit-elle lui dire qu’elle sortait de son ventre ? – Il va te faire brûler vive – Pourtant il a l’air si gentil, et puis… il est magicien aussi, non ? – A toi de voir, Eau-pâle, à toi de voir, mais ne vient pas te plaindre après, ils sont tous après toi, tous à te vouloir du mal, toi la renarde, la sorcière, la fille du fou ! – Eau-pâle se tient accroupie, la tête entre les mains « Assez ! Tais-toi ! Tais-toi ! Tu n’es pas de bon conseil, tu me rends folle ! Toujours à vouloir me faire entrevoir le pire ! Hors de mon corps, de mon cœur, de ma tête ! Vas-t-en ! Im-mé-dia-te-ment ! Sors de mon esprit ! » Les hurlements qui s’échappent de sa bouche semblent irréels, d’une violence inhumaine, primale.

Bastien veut s’approcher, pour la calmer, tenter de l’entourer de ses bras, mais elle se met soudain à flamboyer ; une lumière, le même chatoiement que celui dans le souterrain nimbe la jeune fille. Elle se lève, deux pas au dessus du sol, droite, la tête regardant le plafond, les paumes tournées vers le sol, sa chevelure crépite, ses cheveux volent autour de son visage. De son ventre, juste à l’endroit de la cicatrice, l’éclat se fait plus fort, le T-shirt qu’elle porte se désagrège et elle se tourne vers lui, nue, magnifique dans ce tournoiement de couleurs, débordante d’énergie. Elle le fixe de ses yeux, noirs avec les reflets de l’Opale, des yeux dans lesquels il peut lire l’étonnement et la peur. La peau se tend sous la cicatrice, comme si quelque chose voulait en sortir, Bastien y devine un objet de la taille d’une bille. Il est subjugué, par la beauté de la jeune fille, par la puissance qui émane d’elle. Il aimerait bien s’approcher, mais la chaleur se fait trop intense, telle une sphère autour d’elle, des flammes s’apprêtent à lécher les murs. Il ne peut pourtant pas se résoudre à la laisser faire. Il remarque le lustre en bois, juste au dessus d’elle et se précipite sur sa corde qu’il détache. Celui-ci dégringole et elle s’effondre net, assommée.

Il pousse le lustre, porte l’évanouie sur son lit et l’attache aux montants, en croix justement, les poignets comme les chevilles. Le feu n’a pris nulle part encore, et dès lors qu’elle se trouve inconsciente, les flammes disparaissent. Il court à la cuisine, fait chauffer de l’eau, affûte un couteau, prépare une aiguille, stérilise le tout dans la casserole bouillonnante. Il prend des linges propres ainsi qu’une bouteille d’alcool. Il retourne dans sa chambre, installe son équipement à côté de son lit, arrache un des longs cheveux d’Eau-pâle qu’il passe dans le chas de l’aiguille puis inspire profondément. « Le plus vite sera le mieux », il fait couler de l’alcool sur la cicatrice de la jeune fille et, d’un mouvement vif et précis, lui entaille la peau. Il retire une pierre, semblable à une Opale, et entreprend d’étancher le sang tout en recousant la plaie, heureusement ni grande ni profonde. Il lui fait un pansement, lui verse une rasade d’alcool dans la bouche et se sert lui-même généreusement. Bastien écarte ses instruments du lit, la recouvre, mais la laisse attachée « On ne sait jamais ». Ses yeux tombent alors sur son couteau, dont la lame jusqu’alors en inox, s’est transformée en or.

Sans ménagement aucun, il secoue la jeune fille et lui demande « Le nom de ton père, dis-moi le nom de ton père ! » Dans un souffle, gémissante, l’obligeant à se pencher au dessus d’elle, Opale lui répond « Flamel, Nicolas Flamel ».