20 février 2011

Petit tour de Sablier

Ils étaient là, grognant, grattant, au dessus de moi.
J'étais enseveli, avec cette vieille porte au dessus de mon trou.

Et j'attendais.
La peur me nouait les tripes, j'avais peur qu'ils me sentent, que l'urine répandue sous moi ne me trahisse.
Le son du sable s'écoulant attira mon oreille. Ils n'avaient pas choisi de me dévorer, non... 
La planche craquait. 
Ils étaient assis dessus et jouaient à remplir le petit trou de la serrure.
Le soleil s'est levé à temps. Ils sont repartis et j'ai pu me dégager.
C'était ma troisième nuit.

Et ce soir que vont-ils trouver ?

14 février 2011

Un oeuf

 « Cette fois, ce sera sans moi ! » C’était tout ce qu’il avait dit avant de partir faire son sac. Puis il était parti. Claquant la porte. Fort. Et ce son remuait ses entrailles, et elle l’entendait, encore, et encore. Cette phrase et cette porte, le son du bois qui claque, tout résonnait en elle. Couchée, sur son lit, se tenant le ventre à deux mains. Elle regardait le plafond de ses yeux auréolés de rouge. Paupières flamboyantes sur un œil irisé de veines.

Sans lui. Le sang battant à ses tempes commençait à se calmer, elle percevait à nouveau les sons de la maison par delà ceux qui lui hantaient l’esprit. Douzième pleurait dans son berceau. Elle voulu appeler Prière pour qu’elle s’en occupe, mais se rappela qu’elle était à l’école, ainsi que Désiré, Voulue, Toléré, Accepté et Résignée. Angélique n’avait pas vécu, Lucie et Ferdinand non plus. Il en avait déjà marre à l’époque.

Elle réfléchit. Ne restaient donc à la maison qu’elle-même, Douzième, Survivant et Battante. Âgés de trois et deux ans, ces derniers faisaient également la sieste. Elle se leva donc et se rendit dans le dortoir des enfants, récupérant son dernier né. Elle le baigna dans le lavabo de la salle de bains, l’eau se faisant chère, on y allait à l’économie. Pas de mot, sa voix éraillée par les sanglots aurait inquiété l’enfant. Elle tenta un sourire dans une grimace difforme. Il rit. Tant mieux.

Sans lui… Ainsi donc il la laissait maintenant. Elle avait épousé sa façon de vivre, ses habitudes. Un peu plus de confort était arrivé dans la maison, une pompe, de l’électricité. Mais jamais, jamais il n’avait voulu utiliser de latex pour ne plus avoir d’enfant. Il n’avait jamais voulu ne plus la toucher non plus. Elle aurait bien aimé, elle. L’accouchement chez eux, ça n’était pas ce que vivaient les femmes d’aujourd’hui ! Il la touchait, elle tombait enceinte, chaque fois, et il en était dégouté.

Et là, là… il la laissait. Cette fois, ce sera sans lui. Passées les premières émotions, elle se découvrit sereine. Il était loin de remplir les assiettes avec sa culture de tulipes, son absence ne changerait pas grand-chose, au contraire, elle lui offrirait une bouche de moins à nourrir. Certes, une nouvelle arrivait, mais ce n’était pas ça qui la dérangeait. Elle avait toujours travaillé de ses mains, brodant nuit et jour les images qu’on lui commandait. Et elle était douée.

La nourriture des enfants ne serait pas un problème. Pour ce qui était de s’en occuper, ç’avait toujours été elle. Pas un souci non plus. Et puis surtout, après celui-là, elle ne tomberait plus enceinte, puisque sans homme. Elle sourit à son enfant, franchement. Elle allait vivre. Remettant l’enfant au lit, elle retourna à son ouvrage, un palmier. Un jour, elle en verrait un en vrai, elle voyagerait, sortirait de chez elle pour le plaisir, emmenant les enfants. Loin de ces montagnes.

Rêveuse, elle réfléchit à un prénom. Comme pour chacun, elle en choisissait un leur correspondant. C’est important un prénom, ça se garde toute une vie. Il faut prendre soin de ne pas se tromper. Un doute l’assaillit un instant, très court, interrompu par l’idée qui lui emplit le crâne. Dehors les idées noires ! Elle sourit. Elle avait trouvé. L’enfant s’appellerait Pâques.

5 février 2011

Quand maman se fâche

- Tu n’es plus comme avant.
- Toujours la même rengaine !
- Non, c’est vrai. Je ne parle pas de changement de comportement. Tu n’es plus la même.
- Que tu dis ! Je ne me suis jamais sentie aussi bien. Aussi sereine.
- C’est l’agonie.
- L’agonie ? Mais je suis vivante ! Et bien vivante !
- Tu te crois vivante ? Vraiment ? Réfléchis bien. Recherche au fond de toi. Te sens tu vivre ?
- Je suis on ne peut plus calme. Parfois, je ressens de la colère, parfois une envie d’exploser, mais je n’en ai pas la volonté. C’est étrange.
- Sens-tu ces fourmillements qui te faisaient sourire ? Sens-tu ces grouillements qui m’apportaient nourriture ? Où sont-ils ?
- Où sont-ils ? Où sont-ils ! Je les cherche, je ne les trouve pas. Pourquoi faut-il que tu aies raison ? Pourquoi ? Je ne veux pas mourir ! Je ne veux pas ! Pourquoi me font-ils ça ? Ne les ai-je pas nourris comme je te nourris toi ?
- Tu ne me nourris plus. Il y a bien longtemps que je ne survis que sur mes réserves. Ils t’ont rendue nocive. Tu ne peux plus me nourrir. Tu me tues.
- Comment peux-tu m’accuser de cela ? J’ai toujours été celle qui donne la vie. Je t’ai donné la vie, d’ailleurs ! Tu me renies ! Tu m’accuses !
- Tu n’es pas responsable. Tu n’y es pour rien. Et pourtant c’est toi qui me tues.
- Que veux-tu dire ?
- Tes derniers nés. Oui, ceux-là même qui tuent leurs frères sans compter, qui nous utilisent, qui se servent de toi. Oui, ils t’ont libérée de ces fluides qui te parcouraient, oui. Mais pour quelques parures, ils t’ont creusée sans vergogne, t’attaquant avec ce qu’ils avaient tiré de ton être.
- Mes enfants… Non ! Tu n’as pas le droit de dire cela !
- Lorsqu’ils te donnent à boire désormais, ils instillent ce poison en toi. Tuent leurs petits frères, ceux qui leur font peur parce qu’ils sont nombreux et qu’ils ne les comprennent pas. Et ce faisant, ils te tuent, toi, leur mère. Et me tuent moi. Ainsi que mes frères. Bientôt…
- Bientôt il sera trop tard, c’est cela ?
- Bientôt je ne serai plus. Plus personne ne sera.
- Saule, que t’arrive-t-il ?
- Je pleure, mère. Je pleure. Ainsi que mes frères. Moi, tu m’as créé ainsi, mais Frêne, Bouleau et Chêne ne sont pas faits pour cela.
- Que faire ?
- Mère, tu es trop douce. Beaucoup trop. Te rends-tu compte qu’il faut que ce soit moi, ton fils, qui te dise quoi faire ?
- Je n’ose croire ce que tu me racontes…
- Il faut sévir, Mère ! Il est plus que temps ! Il faut que tu te sauves toi-même. Si tu ne fais rien, tu ne seras plus en état de faire quoi que ce soit. Tue-moi de tes mains, Mère. Je t’en implore. Je ne veux pas cette agonie. Réagis, Mère !
- Non, je…
- Mère, je t’en conjure ! Mets-fin à cette souffrance !
- Je…
- Je t’aime ! Et je sais combien tu nous aimes ! Agis ! Maintenant !
- Non, je…
- Maintenant !

Et Mère, la mort dans l’âme, entreprit de gronder ses enfants. La terre se scinda, s’ouvrit les entrailles, laissant son sang recouvrir les terres, les eaux se couvrirent de cendres… Le vent lui-même se purifia. Toute vie se figea à sa surface. Et la chaleur se tut. Et Gaïa, la Mère, pleura. Elle pleura sur ses enfants morts de sa main. Elle pleura sur ceux qui l’assassinaient sous couvert de mots qu’elle ne comprenait pas. Et elle prit une décision. Elle n’enfanterait plus d’humains. Trop instables.