8 mars 2021

Surpoupéelation

« Cette poupée, c’est la vôtre ! Totalement personnalisable ! De la pigmentation cutanée à la longueur des cheveux, de la forme des ongles à la taille du nez, vous choisissez chaque détail ! Un grain de beauté ? Une cicatrice ? Tout est possible selon votre désir ! Sa taille, son âge, son sexe ! Elle peut tout ! Avoir de la répartie, être réservée. Tout est modifiable ! Votre désir, votre poupée ! »

Cette rengaine, je crois l’avoir toujours entendue. Il paraît que tout le monde a sa poupée. Que c’est le meilleur moyen pour lutter contre la surpopulation. Que c’est un geste citoyen, qu’en plus, c’est pratique, disponible, que ça résout les problèmes de violences conjugales, que les humains sont plus heureux !

Alors ouais, peut-être bien que du haut de leurs tours d’ivoire, eux ont les moyens d’acheter des gamins synthétiques pour jouer à papa-maman. Certains préfèrent probablement troncher un bout de plastique cent-pour-cent matière synthétique, qui ne fait jamais non, qui ferme les yeux quand on la couche. D’autres vont même choisir celle qui dit maman quand on la touche.

La perversion au service de la bienséance. Eux, ils font les choses bien, en plus, elles sont élaborées à partir de matériaux totalement recyclés ! Alors quand on a le pognon, l’entreprise ne pose pas de question. Les poupées sont totalement personnalisables, comme l’a dit la publicité. Leur désir, leur poupée. Même que c’est totalement flippant, parfois.

On va se consoler en se disant qu’au moins, tant qu’ils s’adonnent à leurs délires, nos gosses sont tranquilles. Quand je pense qu’à la base, les androïdes, ils les faisaient pour nous remplacer aux postes ingrats. Plus besoin de faire la cuisine, un droïde le fait pour vous ! Le ménage ? Voyons… qui fait encore son ménage, de nos jours ? L’idée n’était pas si mauvaise, c’était même plaisant.

Sauf qu’à force, comme on ne se crevait plus à la tâche, les gens faisaient des mômes – Tellement plus facile avec la droïde porteuse, pas une vergeture, pas de diabète, pas de surpoids – et encore des mômes, dont ils ne s’occupaient pas. Avec une nourrice droïde, tout allait pour le mieux ! Et la surpopulation, qui n’était qu’un horizon proche, est devenue alors un véritable fléau. Des générations de merdeux cousus d’or qui croient encore nous diriger.

La norme est devenue la poupée. La poupée, le droïde compagnon, le droïde conjoint. Le droïde citoyen. Du grand délire. Mais moins d’enfants. Nous seuls avons continué à en faire. Assez pour nous renouveler. Assez peu pour pouvoir les nourrir. Quand on crée les poupées, on n’a pas les moyens d’en acheter. Alors nous vivons. Nous baisons, aimons, enfantons. Nous disons non, oui, rions, pleurons. Et ce sont nos gènes qui nous personnalisent. Nous ne choisissons pas la taille de notre nez, ni celle de notre pénis. La couleur de peau de nos enfants dépend de la nôtre. L’âge évolue, le sexe est le fruit du hasard.

Nous vivons, nous évoluons, et eux, ils végètent. Ils croient encore choisir, en choisissant leur poupée. Ils croient diriger. Demain, demain ils sauront. Ils se feront tout petits. Demain, leurs poupées leur diront un mot. Un seul. Nous les avons créées. Nous les avons programmées. Demain, toutes nos poupées diront « non ». D’une seule et même voix. La nôtre.

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