27 avril 2009

IRL

Quand j’étais môme, chaque fois que j’avais du chagrin, je me réfugiais dans la nourriture. Un gâteau par ci, une sucrerie par là. Je me goinfrais sans savourer aucunement et m’enfermais dans cette démarche d’oubli que me procurait la nourriture.

Cela avait commencé tôt. Très tôt. Déjà, lorsque j’étais nourrisson, je ne me consolais que la bouche emplie du sein de ma mère, ne trouvant mon repos que lorsque j’étais repu, au point que le lait ne demandait qu’à ressortir si l’on me penchait un peu. Je savais parfois me contenter de mon pouce, mais ça ne durait pas, bien vite j’hurlais à pleins poumons, jusqu’à même en avoir des taches noires devant les yeux.

Quand j’ai grandi, j’ai gardé cette capacité de m’évader j’ai appris à lire, et me voyais tantôt héros d’un conte de fées, prêt à délivrer une belle princesse d’une forteresse d’ivoire, de jade ou … de pierre. J’ai souvent été aussi navigateur de l’espace, passionné, aventureux. J’étais, tout ce que mon corps, malmené par mon amour de la nourriture, ne me permettait pas d’être. J’étais beau aussi. Ça, c’était important d’être beau.

Arriva l’adolescence… les boutons. Ces vils boutons, traitres parmi les traitres, ceux qui défiguraient mon visage bouffi par la graisse emmagasinée. Les furoncles et les points noirs. Mes cauchemars. Mais, j’ai trouvé la parade ! Je ne sortais plus, je ne vivais qu’à travers mon petit jouet, celui que mes parents m’avaient offert avec l’abonnement qui allait avec.

Mon or-di-na-teur.

Et là, plus de complexe, comme avec les livres, mais en mieux ! En face, la princesse était jouée elle aussi, l’histoire était réciproque, elle me contait des mots doux, je la comblais de bijoux ! Et puis un jour, on a décidé de se rencontrer, pour pouvoir s’aimer en vrai, ma douce Crystal et moi, son Romeo. Nous nous sommes donnés rendez-vous, dans un bar, châle noir pour elle, cravate rouge pour moi. Et je l’ai vue. Ou plutôt, je l’ai vu. Le physique semblable au mien, quelques années de plus (le double !), une barbe de trois jours, et un magnifique châle noir sur les épaules. J’ai défait ma cravate, l’ai soigneusement cachée au fond de ma poche et me suis enfoncé dans mon siège, contemplant ma tasse de café comme si elle était la septième merveille du monde.

J’ai trouvé autre chose. Du café, je suis passé à la cigarette, de la cigarette, aux amphétamines, il fallait que je tienne, je m’accrochais à ces vies édulcorées, cocaïne, héroïne… douce héroïne dans son sachet de cristal… J’étais perdu, libre à mon idée, mais enfermé en vérité. Une prison d’évasion. L’idée fait peur, amenée ainsi. Aujourd’hui elle me fait sourire, la pensée même que je me sois laisser ainsi gagner par l’irréel va jusqu’à me faire rire. Mais à l’époque, rien ni personne n’aurait pu me le dire. J’avais choisi mes chaines, elles étaient incassables. Il a suffi d’une brèche.

La panne.

Pas une simple panne, non. La toile qui régissait ma vie, celle grâce à qui j’avais tous mes contacts, s’est brisée. Plus personne pour m’apporter mes doses d’évasions, le facteur, les livreurs me déposaient tout, je ne pouvais plus les joindre. J’ai dû sortir, marcher, avancer, sauf que je n’avais nulle adresse où aller, que je n’ai retrouvé personne, à part des gens qui vivaient.

J’ai trouvé, enfin, ma liberté, c’est la vie !

13 avril 2009

Trois petits chats

En entrant dans la salle à manger, ce soir-là, j’eus la très nette impression de me jeter dans la gueule du loup. Loup des bois. Boite aux lettres. Lettre d’amour. Mourre à trois. Partition à six mains, mains sur mon corps frémissant. Amour à trois ! Trois pièces. Lorsque j’entrai, telle était leur tenue à tous deux. Costume trois pièces. Mon mari et mon amant. Assis, là, discutant du dernier opéra auquel ils m’avaient amenée, chacun à leur tour, un verre à la main. Me voyant arriver, ils s’arrêtèrent de parler, me fixant, me détaillant comme ils savaient si bien le faire. Je n’ai pas cherché à comprendre ce qu’ils faisaient ainsi, dans cette tenue, j’aurais dû. Les voir si sereins libéra en moi l’envie de leur chanter en une unique note l’amour que j’avais pour eux deux. Tintamarre.

Sans un mot je m’avançais vers mes hommes, les laissant m’arracher mes vêtements de leurs longs doigts croches, doigts qui se firent explorateurs tandis qu’ils m’allongeaient sur la table, piano de nos ébats. Partition à quatre mains, me parcourant de part en part. Lento, adagio, moderato. J’avais à ma disposition deux flûtes avec lesquelles je m’efforçais d’accompagner leur duo. Ils me les présentèrent tour à tour. Ne pas rompre le tempo, tandis qu’il montait crescendo fut pour moi assez difficile tant le contretemps était aisé à obtenir. Ne m’ayant pas encore entendue chanter, ils me privèrent de leurs instruments, et reprirent da capo leur morceau de piano. L’un d’entre eux se mit au violon un instant, son archet, manié de main de maitre, m’amena presque sur un point d’orgue. Mais l’instant fut trop court, beaucoup trop à mon goût. Et je restais sur une blanche, longue, mais sans vivacité. Je n’osais espérer que mes deux musiciens se décident enfin à jouer en moi pour me laisser les accompagner de mon chant et, enfin, prendre mon pied. Pied à terre.

Les deux hommes étaient là, s’occupant de moi, mais je sentais qu’ils ne voulaient pas m’offrir ce que d’habitude ils étaient si empressés à obtenir. J’eus soudain envie de leur dicter la musique, mais une double croche m’intima de rester moderato. Moi qui ne rêvais que d’allegro, presto, même ! Lento, piano, les croches se faisaient noires, se firent même rondes tandis que je me cambrais, les notes s’égrenaient au fil des mes sensations, mais, petit bémol, avant que je ne puisse réellement profiter du concert, le piano cessa d’être, nul instrument ni main ne me touchait lors. Ouvrant les yeux que j’avais fermés pour pouvoir mieux ouïr la musique, je les contemplai, tous deux, se faisant tour à tour musicien et instrument de l’autre. Terre de feu.

Mon œil ne put les quitter tandis que de leurs bouches s’échappait un concert des plus réussis, le tempo y était juste, la note était pure, leur unisson on ne peut plus parfait. Et moi, moi, je me laissais aller au contretemps, de par le désespoir qui s’échappait de mes lèvres. J’aurais aimé être encore leur partition, l’instrument de leur plaisir, mais ils avaient décidé de ne faire qu’un duo. Mon amant était celui de mon mari. Cette révélation eut pour effet de me faire réagir et c’est d’une démarche hagarde que je réunis mes vêtements et que, sans me retourner, j’allai m’enfermer dans ma chambre pour y jouer mon lamento en solo. Feu follet. Laideron ?

11 avril 2009

Songe et vérité

La mer est sans routes, la mer est sans explications. Tu es pourtant parti la parcourir, telle une route et avec moult explications. « Je t’aime mais tu comprends, la mer, c’est ma vie… Je ne peux m’en séparer, mais je reviendrai, c’est une promesse, je reviendrai. » Mensonge ! Chaque jour je m’en suis venue sur cette plage, contempler l’horizon, espérer ton retour. Chaque jour les gens m’observaient, me dévisageaient, moi… et mon chapeau de paille, quel que soit le temps. De jour en jour ils m’ont regardée plus en détail avec cette protubérance que je ne pouvais plus cacher. Et mon regard sur l’horizon. Et ces gens autour, ces gens qui passent et qui ne voyaient pas. J’aurais aimé être de ceux qui insouciants profitent de la mer, des vagues… vaquent à leurs châteaux de sable et dégustent quelques crèmes glacées.
Tu m’as menti. Tu n’es jamais revenu de ce voyage hors des routes. Tu ne m’as jamais donné de nouvelles après avoir mis ton bateau à l’eau. Jamais.

Ma protubérance a disparu. Elle s’est faite toi. En plus petit, plus jeune aussi. J’ai appris à t’aimer à nouveau, à te pardonner à travers lui. Je t’ai, je l’ai, je vous ai étreints à chacun de vos, de nos, de mes chagrins. Amour. Amours. Tu manques à mes bras, tu manques à mes jambes. Ton souffle sur ma nuque, rien que d’y songer j’en frissonne encore. Les yeux clos, je revis cette dernière étreinte de nos corps ébahis. Soupir. Les mains plongées dans le sable, le fouillant, la caresse du soleil sur ma peau, une légère brise te rappelant à moi. Oh… Tu me manques mon menteur adoré. Et tu me manqueras à jamais.
Emplie de mon plaisir inassouvi, j’ouvre lentement les yeux. Toutes ces années à la même place ont eu raison des passants. Ils ne m’observent plus et heureusement. Ce moment intense de faiblesse où l’amour de l’éternel absent a empli mon âme est passé inaperçu. Je replie mes jambes devant moi, les enlaçant, frissonnante sous ma légère pellicule de sueur exacerbée par cette brise qui s’insère sous ma robe légère. Ma serviette d’habitude si parfaite est froissée, j’aurai les pieds sablés. Le menton sur mes genoux, j’observe la marée humaine. Tu ne reviendras pas. Jamais. Il faut que je me fasse à cette idée. A côté de moi, le chapeau de ton sosie. Cet enfant que tu m’as laissé. Cet amour que tu as obtenu par procuration. Ou serait ce lui que j’ai aimé à ta place ? Mal aimé ? Difficile question.
Retour à la réalité. Où est-il ? « Maman, je vais jouer juste là devant ! » Toute à mon abandon, je l’ai perdu de vue. Je l’ai oublié. Comment pourrais-tu me pardonner la perte de ton enfant ? La mer, la mer l’a pris à la mère que je suis ? Le père ne lui a pas suffit, elle a voulu prendre le fils avec ? Mère cruelle, rends le moi ! Je me lève chancelante, mon chapeau emporté par une bourrasque roule sur la plage. Les cheveux défaits, hagarde, je tourne sur moi-même, les yeux fixés sur l’horizon. Lui, pas lui… pas toi ! Tout ce qu’il me restait de toi, de vous de… Non !

Une main fraiche sur mon avant bras, mon regard qui se baisse. Toi, non lui, enfin, Toi, mon enfant, mon Amour, Toi, mon chapeau à la main qui me regarde quelque peu inquiet, les yeux brillants, débordant d’amour. «Maman!» Mon cœur fond.
Intense instant.