13 avril 2009

Trois petits chats

En entrant dans la salle à manger, ce soir-là, j’eus la très nette impression de me jeter dans la gueule du loup. Loup des bois. Boite aux lettres. Lettre d’amour. Mourre à trois. Partition à six mains, mains sur mon corps frémissant. Amour à trois ! Trois pièces. Lorsque j’entrai, telle était leur tenue à tous deux. Costume trois pièces. Mon mari et mon amant. Assis, là, discutant du dernier opéra auquel ils m’avaient amenée, chacun à leur tour, un verre à la main. Me voyant arriver, ils s’arrêtèrent de parler, me fixant, me détaillant comme ils savaient si bien le faire. Je n’ai pas cherché à comprendre ce qu’ils faisaient ainsi, dans cette tenue, j’aurais dû. Les voir si sereins libéra en moi l’envie de leur chanter en une unique note l’amour que j’avais pour eux deux. Tintamarre.

Sans un mot je m’avançais vers mes hommes, les laissant m’arracher mes vêtements de leurs longs doigts croches, doigts qui se firent explorateurs tandis qu’ils m’allongeaient sur la table, piano de nos ébats. Partition à quatre mains, me parcourant de part en part. Lento, adagio, moderato. J’avais à ma disposition deux flûtes avec lesquelles je m’efforçais d’accompagner leur duo. Ils me les présentèrent tour à tour. Ne pas rompre le tempo, tandis qu’il montait crescendo fut pour moi assez difficile tant le contretemps était aisé à obtenir. Ne m’ayant pas encore entendue chanter, ils me privèrent de leurs instruments, et reprirent da capo leur morceau de piano. L’un d’entre eux se mit au violon un instant, son archet, manié de main de maitre, m’amena presque sur un point d’orgue. Mais l’instant fut trop court, beaucoup trop à mon goût. Et je restais sur une blanche, longue, mais sans vivacité. Je n’osais espérer que mes deux musiciens se décident enfin à jouer en moi pour me laisser les accompagner de mon chant et, enfin, prendre mon pied. Pied à terre.

Les deux hommes étaient là, s’occupant de moi, mais je sentais qu’ils ne voulaient pas m’offrir ce que d’habitude ils étaient si empressés à obtenir. J’eus soudain envie de leur dicter la musique, mais une double croche m’intima de rester moderato. Moi qui ne rêvais que d’allegro, presto, même ! Lento, piano, les croches se faisaient noires, se firent même rondes tandis que je me cambrais, les notes s’égrenaient au fil des mes sensations, mais, petit bémol, avant que je ne puisse réellement profiter du concert, le piano cessa d’être, nul instrument ni main ne me touchait lors. Ouvrant les yeux que j’avais fermés pour pouvoir mieux ouïr la musique, je les contemplai, tous deux, se faisant tour à tour musicien et instrument de l’autre. Terre de feu.

Mon œil ne put les quitter tandis que de leurs bouches s’échappait un concert des plus réussis, le tempo y était juste, la note était pure, leur unisson on ne peut plus parfait. Et moi, moi, je me laissais aller au contretemps, de par le désespoir qui s’échappait de mes lèvres. J’aurais aimé être encore leur partition, l’instrument de leur plaisir, mais ils avaient décidé de ne faire qu’un duo. Mon amant était celui de mon mari. Cette révélation eut pour effet de me faire réagir et c’est d’une démarche hagarde que je réunis mes vêtements et que, sans me retourner, j’allai m’enfermer dans ma chambre pour y jouer mon lamento en solo. Feu follet. Laideron ?

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Une tendre comptine - l'enfance n'est pas loin - puis arrive un soupçon de perversité pleine d'humour...
Que demander de plus ?
10/10 miss Yunette

Anonyme a dit…

Vraiment bien !

Agréable, transportant.

J'aime beaucoup.

Yunette a dit…

Savez que des gens arrivent ici en cherchant la comptine et sa partition ? J'ai trouvé ça très marrant... Je doute que ça les ait satisfaits dans leur recherche :D