7 juillet 2010

Requiescat in Pace.

Moi, Alexandre Barthélémy Androus, j’affirme être mort ce soir. Cette déclaration ne me fait ni chaud ni froid. Étrange sensation de néant qui m’envahit. Je ne ressens rien, nada, niet. Je suis mort, c’est comme ça. Fronçant les sourcils, du moins ayant l’idée de le faire, ma dépouille restant totalement immobile, je tente de me remémorer ma vie. C’est bête, elle défilait devant mes yeux tout à l’heure à une vitesse folle et pourtant je dois faire un effort pour en retrouver les détails. Nous sommes en… Nouvel acte sourcilier avorté par l’inanité de ce geste, je me souviens. L’année n’a finalement que peu d’importance. Nous sommes le 15 janvier, entre chien et loup et je viens de mourir.

Je rencontrai un soir un homme des plus improbables. Rentrant tranquillement, à pieds - pourquoi démarrer mon auto pour les quelques centaines de mètres qui me séparent du boulot ? - Rentrant tranquillement, donc, j’aperçus une silhouette penchée sur le véhicule précité. Sans me démonter, bien qu’un peu anxieux, je m’approchai le pas léger, et, lorsque je me retrouvai derrière lui, je me raclai la gorge.

- Sans doute puis je vous aider, monsieur ? Vous désirez les clefs, peut être ?

Peut-être devrais-je préciser que je suis chef d’entreprise. J’étais ! Bon Dieu, il va falloir que je me mette ça à l’esprit, je suis clamsé ! Diantre, difficile à croire étant donné que j’ai encore conscience des choses. Enfin… j’étais chef d’entreprise, donc, propriétaire de mon logis, d’une maison de campagne, une autre en bord de mer et, bien sûr, j’avais une belle voiture. Une de celles avec chauffeur, qui vous sépare d’une vitre blindée l’avant de l’arrière. Une histoire de classe. L’homme se retourna, me sourit, de la bouche seulement, ses yeux exprimaient tout autre chose, un je ne sais quoi qui me fit frissonner. Il me souriait, donc, tendant la main.

- Trop aimable, je vous en remercie.

Sans attendre une quelconque réaction de ma part, il se saisit de ma personne, fouilla ma poche pour en ressortir le sésame et m’enferma à l’intérieur. Je ne me laissai pas faire, loin de là. Je me débattis comme un diable, mais sa poigne était telle que j’eus beau me démener, il parvint à ses fins. Je n’eus pas même le réflexe d’hurler, étonné de ce qui m’arrivait. Il s’installa au volant, non sans avoir au préalable verrouillé les portes. J’étais fait. Tentant d’entamer le dialogue, lui demandant ce qu’il voulait… Lui proposant un emploi, de l’argent, des femmes, ma femme ! Ce qu’il désirait ! J’étais paniqué, totalement. Et lui, il restait coi, augmentant ce sentiment de perte, de fin qui s’était emparé de moi.

Une mauvaise blague, sans doute. Voilà ce dont j’essayais de me convaincre. Sans résultat, bien entendu. Je me résignais au moment où je me rendis compte que l’habitacle s’emplissait de fumée. Autant les places avant et arrière étaient complètement isolées les unes des autres, autant le coffre et l’endroit où je siégeais ne l’étaient pas. Je me souvins à cet instant que lorsque j’étais arrivé, l’homme était fort occupé au niveau de mon pot d’échappements. J’allais mourir. Et je le savais. J’étais lucide. La vague de panique me submergea, je me mis à taper contre les vitres, maudissant celui qui m’avait dit qu’elles garantiraient ma survie, que j’en avais besoin, que c’était indispensable. J’allais mourir pour cause de sécurité !

Frapper ne servit à rien. La fumée se fit opaque et mon énervement n’avait fait qu’accélérer le processus. Je ne voulais pas crever, pas sans savoir. J’eus vaguement conscience de l’arrêt de la voiture, du moteur qui tournait encore, de la porte claquée à l’avant. Mes poumons cherchaient l’oxygène que mon cœur réclamait. Mes coups se firent plus lents, moins sonores. Ma vie défila devant mes yeux. Voilà, c’était fait. J’étais mort. Sensation de légèreté, mort et libre ? Je profitais de ma décorporation pour observer autour de moi. L’homme me fut reconnaissable, un pauvre bougre que j’avais licencié il y avait peu pour cause de crise. Elle a bon dos, la crise.

- Vous comprenez, mon brave, ça ne me réjouit pas, mais je n’ai pas le choix. C’est vous, ou moi.

Avec toute la condescendance dont j’étais capable, un brin de pitié dans les yeux. « Vous ou moi. » Il m’avait pris au mot. Il avait choisi. C’était moi. Je le vis rentrer chez lui, je l’avais suivi, ma dépouille ne m’intéressait guère et, voir les pompiers s’acharner à essayer de me réanimer, alors que j’étais déjà mort, je le savais, non plus. Je l’accompagnai et découvris que mon assassin avait une femme, enceinte. « Sans doute le désespoir l’aura-t-il poussé à, blablabla. » Je voyais déjà les articles de presse. Je les observai un instant, un couple qui malgré le manque d’argent et ce que l’homme venait de commettre, respirait le bien être. Peut être même à cause de ce qu’il venait de faire, d’ailleurs. L’homme marchait droit, le pas assuré. Libéré d’un fardeau, moi.

Je me sentis attiré vers mon corps, aspiré même. Et m’y retrouvai à nouveau. Pompiers, avez-vous une âme ? J’étais libre et on m’enfermait dans une carcasse de chair et d’os qui avait été mienne bien trop longtemps. Pourtant, je ne me réveillai pas. Respirateur, perfusions, je n’étais plus mort, mais toujours pas vivant. Paupières closes, palpitant au ralenti. Quelques jours ainsi, enfermé dans ce corps que je commençais à honnir. Je tentais, souvent, de réitérer l’expérience, que mon esprit quitte mon corps, s’en aille en vadrouille, et puis, j’étais déçu. Je n’arrivais à rien. J’étais mort, libéré de cette femme qui me trompait, de cette maitresse qui n’aimait que mes billets, de ces employés qui voulaient ma mort…

Mais elle était là la solution ! Ma Mort ! L’homme revint, ne lisant dans les journaux aucune date pour mon enterrement, il s’était renseigné. Moi, Alexandre Barthélémy Androus, j’affirme que si, ce jour, je n’avais été un légume, je lui aurais baisé les pieds. Il fit simple, il me débrancha. M’attendant à m’envoler à nouveau, je ne pris pas garde aux infirmiers qui se précipitaient. J’exhalais un dernier souffle et… Il ne se passa rien. Je percevais d’infimes battements de cœur au plus profond de ma dépouille, le souffle exhalé n’était pas le dernier. Ils cessèrent de s’agiter, sortirent de ma chambre. Cette fois, j’étais mort, d’après eux. Euh, les gars, autant la première fois je l’étais, autant là… Hé, les gars ! Je n’suis pas mort !

J’observais les jours suivants, ahuri, les pleureuses sur ma dépouille, l’engueulade entre femme et maitresse, les mômes que je n’avais pas ne vinrent pas, et, ma mère, seule femme à m’avoir vraiment aimé, pleura, sincèrement. On me fit une toilette, j’avais heureusement opté pour le forfait sans embaumement, simple maquillage, donc, pas de vidange ni de cire. Le cercueil était de bonne facture, du chêne, lourd, épais. Je n’arrivais pas à croire que personne ne se soit rendu compte que, non, j’étais bien vivant. À moins que je ne sois mort mais ne veuille l’accepter ? À moins que ce ne soit, ça, être mort ? Si j’avais été maitre de mon corps, j’aurais sans doute tremblé à cette perspective. Je ne me souvenais plus si j’avais choisi d’être enterré ou incinéré. Ce serait la surprise.

Glissé dans un cercueil molletonné, je fus repris par la panique. Incapable d’esquisser le moindre geste, on m’enferma. Mes yeux eux même ne voulurent pas rouler sous mes paupières. J’étais mal à l’aise, peu d’espace, malgré le poids perdu ces derniers jours. On me porta, m’emporta loin de chez moi, de l’embaumeur. Une messe fut dite, bière ouverte, que chacun me voie une fois encore. J’observais le cortège hypocrite, mon meurtrier lui-même était présent. J’avais envie de lui sourire, de le remercier, de l’engueuler aussi, il n’avait pas bien fini son boulot. Je me souvenais pourquoi je l’avais viré lui plutôt qu’un autre. Un incapable ! J’en avais d’ailleurs la preuve !

Les orgues se mirent en marche. La boite fut refermée, scellée. Je percevais les gouttes qu’on lui lançait. Eau bénite, mon cul ! J’suis vivant, bande de fous ! Vi-vant ! De gouttes, j’en sentis sur mon front, et elles n’étaient pas bénites, ça non. Je suais. J’avais les foies ! On me laissait les poignées, et vu la bête dans laquelle j’étais couché, on n’allait pas me cramer. Cette perspective me soulagea. Un instant. Un très court instant. Je pris alors conscience que j’allais simplement être enterré. Vivant. Plus de sueurs sur ma peau, moite. Je fus parcouru d’un immense frisson, j’aspirais l’air à grandes goulées.

On me déposa au fond du trou. Doucement. Mon corps se mit à répondre à ma demande. Je frappais, grattais. Plus un son. Les dernières paroles du curé me parvinrent, étouffées. Puis le bruit de la terre qu’on jette au dessus de moi. Sourd. Je cessais de gratter, je n’hurlais pas. On ne m’aurait pas entendu. Au début, je respirais tout doucement, puis je compris qu’à faire ainsi je ne faisais que faire durer mon calvaire. Je profitais alors de ces derniers instants pour m’emplir les poumons comme jamais. Mon cœur s’emballa, encore. Je visionnais de nouveau ce film de ma vie qui m’était apparu quelques jours auparavant.

Nous sommes aujourd’hui le 15 janvier, entre chien et loup, et moi, Alexandre Barthélémy Androus, j’exhale enfin ce dernier souffle. Il s’est fait désirer. J’attends l’élévation de mon âme, le tunnel, quelque chose. Ne pas rester ainsi, prisonnier d’un corps en décomposition, d’un cercueil, de la terre. Ne pas voir les insectes me dévorer, ne pas percevoir chaque morsure. Non ! Quelque chose ! Il est où ce putain de tunnel ? Je peux crever pour de vrai ? Perdre enfin toute conscience ? S’il vous plait ! Que ça s’arrête, bordel !

Même sensation d’aspiration que la fois précédente. Elle m’expulse de mon corps, m’entraine je ne sais où. Enfermé ? A nouveau. J’y vois, enfin, plus de noir, une clarté qui me fait mal aux yeux, et un bruit ! Trop de bruit, mes membres me répondent, je porte les mains à mes oreilles. Des membres ? Des oreilles ? Mais je suis où là ? Il se passe quoi ? Comment ça, j’ai un corps ? Comment ça, j’entends, je vois ? Je n’suis pas mort ? Mais merde ! Qu’est ce que c’est que cette histoire ? Laissez-moi sortir ! Je veux crever en paix ! Reposer, enfin… Je n’ai pas assez trimé toute ma vie ? Faut que je recommence ?

Moi, Alexandre Barthélémy Androus, je déclare aujourd’hui solennellement que la mort, c’est une véritable supercherie. On vous parle de repos éternel, mensonges. Là, j’ai juste l’impression qu’on s’est bien foutu de ma tronche. Nan parce que bon… J’étais enfermé, je le suis de nouveau… et je vous assure que je suis encore moins à l’aise que dans mon cercueil. Tête en bas, c’est du n’importe quoi. Mais laissez-moi sortir !

Coups de pieds, la paroi s’étire, se tend, mais ne cède pas. Je veux sortir d’ici ! Et ce bruit ! Il répond à mon propre stress. Chaque fois que je me débats, il est plus fort, pulsations jumelles de mon cœur. C’est qu’il bat vite, mon cœur. Ça m’inquiète d’ailleurs. Je ne serais pas en train de faire une crise de tachycardie ? On m’enserre la tête dans un étau, oppressé de partout, le corps tendu. On me relâche, enfin. Les bruits se font plus sourds, le sang bat dans mes tempes. J’ai peur. Ça me serre de partout, encore une fois. Relâchement. Et ce, plusieurs fois. Est-ce que je vais enfin pouvoir me reposer tranquille ?

Une lueur, finalement. Au bout d’un tunnel. Que la lumière fait mal ! Ma tête est libérée, enfin. Mon corps la rejoint bientôt, on me dépose sur un ventre chaud. Avant que je n’esquisse le moindre geste, un index translucide vient se poser, là, juste sous mon nez, creusant une gouttière. Moi. Moi qui n’ai pas encore de nom, aujourd’hui, entre chien et loup, je viens de naitre. Le ventre se tend à nouveau alors que je tente de happer ce sein qui se présente à moi.

La délivrance.

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