15 mai 2011

Prude, danse !


« Prudence », me dit-elle. Je ne relevai pas. Elle prononçait mon prénom cinquante à cent fois par jour. Sans doute ce jour là entendit-elle me prévenir d’une chose, j’ai envie d’y croire. Si vraiment elle avait pressenti quelque danger, pourquoi n’avait-elle pas hurlé ? Elle avait articulé lentement,  comme à son habitude, d’une voix trainante, lassante. Je ne l’entendais plus. Fond sonore auquel on ne prend pas garde.

Si j’avais prêté l’oreille, un rien d’attention, j’aurais su. J’aurais compris qu’elle savait, qu’elle voulait m’avertir. Je fis la sourde oreille. Lorsque je fermai la porte, sa main tendue vers moi me fit tiquer. Impression vite éludée. J’étais pressée. Il me fallait retourner prendre ce que j’avais laissé, là bas. Chez lui. J’avais vu le loup. Et il m’avait croquée. Tant et si bien que j’étais restée.

Heureuse. Je le croyais. Le loup… Douce agnelle que j’étais. Rencontre au bord d’une rivière, alors que dans l’eau claire, je m’étais baignée, toute nue. Une force de vent soudaine, jeta mes habits dans les nues. Il me tint un discours étrange, je n’en tins pas garde. Sous le charme, déjà.  Le soir même il me couvrait d’oripeaux. Il me fit arpenter les rues, me montra. J’étais si fière et si belle, sous ces habits dorés !

Il me vendit au plus offrant. Fleur écarlate étalée, n’osant rien dire. « Prudence », m’avait nommée ma mère. J’aurais dû l’écouter. Cette fois là, déjà…  Il était mon maitre, il disposait de moi, ses amis aussi, les clients surtout, même s’il refusait ce terme. Il se disait généreux. Je lui appartenais. Jusqu’au jour où… De toutes ces aventures, je gagnais un bulbe rond. Mauvaise  herbe se développe vite, moins d’un an suffit.

Quinze ans, mère, enfant encore, pourtant. « Prudence », m’avait appelée ma mère, je le prénommais «Espoir ». Il me le vola. Il m’avait pris mon innocence, ma vie, et maintenant, mon Espoir. Je hurlais, longtemps, désespérée. J’ai mordu les amis présentés, j’ai griffé, pleuré, refusé. Je n’étais plus que rage, haine. Il me le ramena. De temps à autres. Soumise à nouveau. Je l’aimais pour cela, parce qu’il me redonnait Espoir.

 Un soir se présenta devant moi, une femme vieillie trop vite, aux cernes marqués, aux rides trop tôt arrivées. « Prudence. » dit-elle, levant la main vers mon visage peinturluré, osant à peine ce geste, n’osant croire que je vivais encore. Tout se précipita, elle prit ma main, m’emmenant chez elle, chez nous. Je retrouvai mes peluches, ma vie d’enfant. Cette vie enterrée à écarter les cuisses. Par amour.

Espoir ne quittait pas mes pensées. Ma mère tenta de me dissuader, de me dire qu’il était déjà perdu, que c’était trop tard, qu’il n’y avait rien à faire, ou de passer par la police. Rien n’y fit. J’étais décidée. « Prudence… », me dit-elle alors que je partais. J’aurais dû voir à son regard qu’elle savait m’observer pour la dernière fois. Résignée. Résignée à faire ce que je n’avais su faire, perdre son enfant.

Je courus, vite, très. J’arrivai là où je n’étais que chose, bête à plaisir, là où j’étais mère, surtout. Carpette, volonté disparue, je m’excusai, demandai qu’on me pardonne. J’osai demander à le voir, il me dit qu’on le rejoindrait. À la rivière. « La raison du plus fort », susurra-t-il à mon oreille.
Mon Espoir sitôt retrouvé se perdit avec moi.

3 commentaires:

Castor tillon a dit…

Petite virée en eaux saumâtres avec le dangereux maquereau. Ou le loup de mer.
Sale bête !

Castor tillon a dit…

Excellent, la petite illu !

Maneki Neko a dit…

Beau conte, bien que sinistre.