11 mars 2012

Eternel


Les derniers flocons atteignirent le sol dans le silence ouaté qui nous entourait. Figé dans sa gangue glacée, le village laissait poindre quelques lueurs éparses, signes de vie, tout là bas. J’imaginais sans mal le forgeron brandissant son marteau afin d’écraser le fer qui ornerait les sabots des chevaux, pressés par l’agitation de la saison, s’ébrouant dans leur écurie en attendant l’instant où ils seraient à l’honneur, tirant la charrette de l’homme ivre, vêtu de rouge et blanc comme le voulait la tradition. Il y dormait encore, dans sa charrette, d’ores et déjà décorée, assis droit comme un i, fier comme le bar tabac où il passait le plus clair de son temps, songeant qu’il était heureux d’être le préposé à la corvée de distribution d’oranges. Lui les préférait marinées, les oranges, dans du rhum, idéalement, mais il ne critiquait pas le choix des autres. Surtout qu’accessoirement ça lui en faisait plus, du rhum.

Mon regard éternellement posé sur toi qui me bouchais la vue, je me mis à détailler ton visage, tes doigts gras emmêlés, soudés aux miens n’aidant en rien aux pensées positives. Galant, je n’exprimais rien de ces propos qui t’auraient détruite, si tu les avais sus, sans doute ne m’aurais tu pas reproché mon silence… Mais tu n’en savais rien, n’est ce pas ? J’observais tes yeux ornés d’un trait de charbon maladroit, tu ne savais combien je te conspuais intérieurement d’avoir voulu jouer la jolie en te peinturlurant la bouche d’une touche criarde, débordant de tes lèvres fines, perdues entre tes joues grasses. Tu ne savais combien j’avais honte, d’être ainsi exposé aux yeux de tous, auprès de toi, si laide, parce que tu avais décidé de prendre la pose devant un artiste qui n’en avait que le nom.

Tu ne le savais que trop bien, n’est ce pas ? Tu avais compris mes regards vers l’horizon et mes soupirs récurrents. Tu savais et c’est pour ça que ma soupe avait ce goût amer, qu’il y avait cet homme étrange dans notre maison, qu’il psalmodia ces mots inconnus tandis que je bavais, souillant ce sol que tu souhaitais toujours parfaitement propre. Je sentis alors mon esprit s’échapper de mon corps et s’en venir dans celui-ci, misérable figurine de plomb recouverte de neige, doigts entremêlés à ceux de cette minuscule statuette peinte de travers censée te représenter… Tu avais décidé de me garder à jamais auprès de toi, et tu avais réussi. Prisonnier à perpétuité de cette scène représentant un des pires instants de ma vie, un de ceux passés avec toi.

Je t’ai vue vieillir, du haut de ta cheminée, j’ai supporté la neige, longtemps, puis tu t’es lassée de venir me parler alors que je ne pouvais pas te répondre. Tu pleurais aussi, souvent, sur ton sort, regrettant de n’avoir pas pris l’option avec clef pour défaire le sortilège et me ramener dans mon corps désormais couvert d’escarres. J’ai vu nos enfants grandir, puis te laisser seule avec mon silence par toi-même imposé.
Tes mains tremblent, en sus d’être grosse et laide, tu es vieille. Tes mains tremblent et mon micro univers aussi, la neige s’envole depuis le sol mais cette fois, elle ne retombera pas, elle fera comme tout ce qui m’entoure, elle s’éparpillera, me laissant souiller ton sol, une dernière fois.

Mon corps inconscient exhale un dernier soupir, libre je suis, seule tu demeures.

Aucun commentaire: