4 mars 2021

Vernie !

 

Lors d'un vernissage sur invitation, on vous confond avec Amélie Nothomb. C'est vrai que vous lui ressemblez beaucoup. Racontez la suite.


 Je n’ai même pas le temps de prononcer mon nom, qu’on m’entraine au balcon, dans le carré des Personnes Vraiment Importantes. J’hallucine ! Accueillie par le mécène en personne, je n’ai pas l’habitude qu’on me file du champagne et des petits fours sans avoir d’abord bataillé pour entrer. Les petits gratte-papiers, ils les voient comme des pique-assiettes, et je n’ai jamais fait grand-chose pour les contredire.

 Je suis journaliste indépendante et critique d’art. Ce qui veut dire, en gros, que je bouffe quand j’arrive à vendre une page à un magazine. Autant dire que les vernissages, c’est bombance. J’écris à la pige dans de petits journaux locaux, mais ça ne fait pas bouillir la marmite. Ils ne m’ont même pas demandé ma carte de presse, ce soir. Ce qui tombe bien, je n’en ai pas.

 Baste ! Souris. Profite. Ce n’est pas tous les jours qu’on me donne du Madame. Pas mal, l’idée de la robe de soirée, nul besoin de carton, je suis passée quand même.

 Croisant un miroir, je souris, me souris. Ma longue robe noire, mon haut chapeau, noir, également, mes lèvres très rouges et mon teint pâle… mon reflet me plait, je me plais. Oui, d’ailleurs, pourquoi douter, je ne dénote pas avec les gens qui m’entourent, je suis à ma place ici. Je suis une artiste moi aussi ! Certes pas encore reconnue, mais j’ai des manuscrits plein mon ordinateur, des idées en veux-tu en voilà, et puis en tant que critique, je me défends bien.

Quand bien même il dénature le nom de mon blog, c’est quand même méga classe qu’il le connaisse. J’ai déjà 2358 abonnés, mais je n’aurais jamais pensé que de tenir cette page internet m’aurait ouvert les portes ce soir. Jamais imaginé qu’il puisse faire partie de mes lecteurs. C’est une consécration. Un peu de champagne pour me donner du courage, il fait une pause, il attend que je lui réponde. Une inspiration, je me lance.

 « Oh, vous savez, La Fée des Pinces, ça m’est venu de l’idée de regrouper les bons plans culturels, les réductions pour amateurs d’Art à petits budgets. De permettre aussi aux gens qui ne peuvent pas sortir de découvrir des expositions… Si j’osais, monsieur, je vous demanderais un entretien, j’ai tellement de questions à vous poser sur l’organisation d’un tel évènem… »

 Je m’arrête. Mon interlocuteur a l’air bloqué. Il n’a pas l’air de comprendre ce que je lui raconte. Il ne me regarde même plus. Je ne suis pas sûre qu’il m’écoute encore. Les globes fixés vers l’entrée où une espèce de nana toute de noir vêtue, avec un chapeau encore plus grand que le mien et le teint si blafard que sa bouche parait plus rouge que rouge, gueule qu’elle n’est pas déjà entrée puisqu’elle est là, devant le bouffon qui sert de portier, et que ce n’est pas parce qu’elle n’a pas de carton qu’ils ne la laisseront pas entrer, merde quoi à la fin !

 Il détourne les yeux de la scène, les pose sur moi, en bas, moi à nouveau, il affiche un sourire crispé, bégaie. J’ai presque pitié de lui. C’est amusant, un homme qui perd ses moyens.

 Non, je ne suis pas Amélie Nothomb, oui, c’est sans doute elle à l’entrée, s’il s’avère qu’il nous a confondues, non, je ne lui en tiendrai pas rigueur. Oui, bien sûr que je lui pardonne de m’abandonner de façon si cavalière, j’ose néanmoins espérer que je vais pouvoir rester et profiter de la soirée et, bien sûr, qu’il m’accordera cet entretien dont je lui parlais précédemment. Oui ? Ah, qu’il est charmant.

 Tracassée, stupéfaite, escagassée, même. Comment ça, elle me ressemble, cette virago ? J’en tremble !

 

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