Par une soirée extrêmement chaude du début de
juillet, un jeune homme sortit de la toute petite chambre qu'il louait
dans la ruelle S... et se dirigea d'un pas indécis et lent vers le pont
K... Il cherchait de l’eau. De l’eau et de l’air. Avidement, après avoir
passé l’entière journée sous les toits dans son logis minuscule à
chercher une solution, il rêvait d’un vent frais, d’une brise nocturne
capable de lui rafraichir l’épiderme. Ainsi avança-t-il vers les quais,
espérant que l’eau apporterait la fraicheur tant désirée.
Son
espoir fut douché quand il aperçut le fleuve qui n’en portait plus ce
soir que le nom. Loin, tout en bas, d’immenses bancs de sables
saturaient son lit. Quelques flaques stagnantes, ici et là, rappelaient
qu’il put s’agir d’un cours d’eau. À leur surface, vrombissaient des
nuages de moustiques, occupés à s’accoupler et pondre. Un marécage. Un
marécage sans les arbres, sans la quiétude d’une sombre forêt. Un
marécage qui résonnait au son des avertisseurs hargneux.
La
chaleur n’en finissait pas. L’air était palpable, étouffant. L’orage
guettait, refusant de céder, enveloppant l’homme dans sa gangue moite.
Un rien de rage l’envahit, l’humeur lugubre, la suffocation le rendait
mélancolique. Il tenta de se rappeler ses dernières théories, en vain.
La brume envahissait son esprit. Il ne réfléchissait plus, avança vers
la berge, une solution, la chaleur, l’air, l’eau… L’eau ! Là, il la
voyait, elle n’était pas si loin. S’il marchait prudemment, il pourrait
s’en approcher, tremper ses pieds, mouiller sa nuque, et tant pis pour
les insectes, il s’en accommoderait.
Le sable était ferme sous
ses pieds, il prit confiance, avança plus vite, toute notion de prudence
oubliée. Quand ses chaussures restèrent collées, il les abandonna sur
place, continua pieds nus, s’enfonçant assez pour être ralenti, pas
suffisamment pour prendre conscience de la consistance du sable. L’eau
était là, juste là, presque à portée de main, il respirait cette odeur
douceâtre d’eau croupie. Il était tellement proche que les moustiques
commencèrent à se rapprocher, sentant la manne sanguine.
Il n’en
avait cure. Qu’ils le piquent, tant qu’ils partageaient leur eau ! Il
n’avait pas bu depuis la veille, l’eau courante étant réservée à ceux
qui pouvaient payer. La sécheresse faisait rage. Pas de pluie depuis des
mois, pas de réserves d’eau. Il avait fini les siennes la veille,
attendant, fiévreux, élaborant des théories, calculant en vain, toute la
journée, sous les toits, sous le soleil de plomb, avec ce ciel prêt à
crever qui ne crevait jamais. Et il était sorti. Discrètement, conscient
que sa pauvre chair pouvait être appétissante alors que la famine
guettait.
Des groupes se formaient, s’entredéchiraient pour une
boite de conserve. Était-ce donc ainsi que les choses finiraient ? Avec
de l’eau plein les nuages et des champs cramés par les rayons du soleil ?
Il n’en savait rien. Toutes ses théories fumeuses s’étaient évaporées
avec ses derniers espoirs. Il prenait le risque, ce soir. Il fallait
qu’il boive. Et il boirait. L’eau était là, en se penchant, il la
sentirait au bout de ses doigts.
Une poigne terrible se saisit de
ses pieds, de ses chevilles, de ses genoux. Il était prisonnier. Il ne
pouvait remuer un orteil. Un regard derrière lui ne lui montra que le
lit aride du fleuve. Il était seul. Seul avec le sable, le sable et
l’eau qu’il ne pouvait atteindre.
Une bourrasque l’ébouriffa, et
alors que le sable gagnait sur lui, il leva la tête vers le ciel, vit
les éclairs, entendit le tonnerre et reçut les premières gouttes tant
attendues. Elle était juste là, la solution.
4 mai 2021
La fièvre de l'eau
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