18 décembre 2010

Une ration douteuse

Il me le paiera. Je trouverai le moyen. Il n’avait pas le droit de faire cela. Pas le droit. Pas elle. Pas comme ça ! L’ombre de son corps pendu se profile face à la lune. Il n’avait pas le droit ! Elle était tout pour moi. Tout. Ma confidente, mon amie, mon défouloir à envie… Envies d’elle, de la frapper, de l’aimer. Envie d’elle, surtout. Ma vie ! Tout ce qui me restait. Et elle avait eu le malheur d’avoir faim.

Alors elle mangea, trois fois rien, un morceau de viande qui lui faisait envie. Quelque chose qui l’a transformée. Elle n’acceptait plus mes coups. Et cette puissance qu’elle dégageait me la faisait aimer plus encore. Et tous ceux qui l’avaient brimée se sont mis à disparaitre. Et tous l’avaient fait. Un par un. Régulièrement. Tous les trois jours. Il ne restait plus que nous. Lui, et moi. Et elle, plus belle que jamais.

Chaque nuit nos étreintes se faisaient plus violentes. Je l’entendais, lui, dans la baraque d’à côté, il tremblait. Non pas de peur… Lui aussi se faisait violence, dira-t-on. Il devait être le suivant, et il savait ce qu’il lui restait à faire s’il voulait survivre. Il l’agressa alors qu’elle me chevauchait. Dans le même temps, il m’administra un sédatif, virulent. Elle respirait encore. Et je l’ai vu faire. La trainer à la potence. Et moi, incapable de réagir.

Je ne pouvais plus bouger. J’ai regardé cet homme passer la chaine au cou de ma femme, embrasser sa bouche inerte, caresser son corps groggy longuement. Jaloux de nos étreintes. Se frotter à elle. Ultime salissure. Les larmes coulaient sur mes joues. Je voulais hurler, lui promettre mille tortures, mais aucun son ne daignait sortir de ma bouche endormie. Et sa nuque se rompit. Je ne pus détacher mes yeux du cadavre qui se mouvait au gré de la brise.

Il aurait dû y passer ce soir. Alors il y passera. L’effet s’est dissipé, je vais détacher son cadavre. Je la porte, délicatement, jusqu’au crémato. Amoureusement, je la découpe, morceau par morceau. Elle n’est pas tout à fait raide, pas tout à fait froide. Je m’attends presque à la voir me sourire, me sauter dessus pour me dévorer sauvagement. Enfin, m’embrasser. Et me dire que ce n’est qu'une blague.

Je rêve… Elle est morte. Et bien morte. Il parait que si elle avait fait cuire sa viande, elle n’aurait pas contracté cette maladie. Je vais donc la faire cuire. En la mangeant, petit à petit, je pourrai survivre. Si je tombe malade, dans trois jours, je serai mort. Je vivrai, pour elle. Je ferai tout ce qu’elle rêvait de faire, et je le tuerai. Ce soir. J’ai un plan.

Je découpe sa chair tendre, délicatement. Je vais même pousser la chose jusqu’à lui offrir un des meilleurs morceaux. Je les fais cuire, tout comme il faut. Et puis je prépare tout. J’avais préparé, pour le cas où, une fiole à avaler pour me tuer et qu’elle meurt avec moi. Mon corps empoisonné lui aurait permis de s’éteindre sans la faim. Une douce fin, en somme. Là, je l’injecte dans la ration que je réserve à ce salopard. Plusieurs seront négligemment disposées. En mangeant la première, il prendra confiance…

Je mets la viande à sécher, dans la pièce où je dors, demain, je ferai en sorte qu’il me voit tenter de me dissimuler. Il tombera dans le panneau, j’en suis sûr. Manger la femme qu’il n’aura jamais pu pénétrer… Des mois qu’il la lorgnait cet empaffé. Des mois… Et il l’a tuée ! Je la lui aurais prêtée, moi, s’il avait demandé ! Tant qu’il me la laissait en vie, pour moi. Pourquoi je l’ai fait cuire ? Hein ? Elle pouvait encore servir.

Il fait froid tout à coup. Je me suis endormi en songeant à combien j’étais bête de ne l’avoir pas gardée encore. Le feu est éteint, la porte est entrouverte, je croyais l’avoir fermée derrière moi. Ma viande n’est plus là. Il a tout pris, tout. Ou presque. Il reste un morceau ici. Et j’ai faim. Les émotions qui creusent. Un doute m’assaille alors que je mastique. Et s’il savait ?

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