15 mars 2011

Introspecteur

Je suis beau. Aujourd’hui tout du moins J’évolue dans ce monde qui est mien, derrière la cascade aux rochers blancs. Face à face avec moi-même. Aujourd’hui je suis beau, grand, brun, élancé. Je me souris alors que l’eau s’écoule. Non, vraiment, je suis beau. Et je vais la séduire cette poulette ! Prochaine fois que je me revois, je serai soit débraillé, soit la joue rouge, mais j’aurai fait quelque chose ! Advienne que pourra.

Noir.

Je déteste ces instants où je ne me vois pas. Dépendre de madame économie d’énergie n’est pas une sinécure. Dans le temps, on m’éclairait nuit et jour, du temps où j’étais une star… Où j’étais des stars ! Mais voilà, l’on m’a ôté mes étoiles, l’on m’a déplacé, et me voici là… Prêt à tenir compagnie à … Nous ne sommes pas du même monde ! Comment peuvent-ils penser que je vais leur adresser la parole ! Quand on voit qui je suis…

Lumière.

Ah, ben me revoilà. Tout débraillé, ça oui, puis je suis nous. Voilà que je tombe la cravate, la jupe et que je me colle à la cascade. Puis je tente de faire un, nous faisons un. Je suis jolie. Vraiment. Tout ce qu’il faut où il faut. J’ai bu, aussi. Nous avons bu. Trop, sans doute. Alors qu’il me besogne je me vois, parfaite dans mon plaisir, une lueur étrange au fond des yeux. Je l’ai droguée. Il m’a droguée. Un éclair de conscience, là.

Rouge.

Je me hais. Je n’avais pas besoin de ça. Je me dégoute, j’aurais pu la séduire autrement. Je suis assise dans un coin, je me vois à peine. Recroquevillée, alors que je me passe de l’eau sur le visage. J’ai de nouveau une mise impeccable. Je me laisse là et je sors. Vite. Dégout de moi-même, désir assouvi, ces moments me hantent. J’oublierai. Vite. Entre les cuisses d’une autre. Et je pleure, moi, là bas, moi que je ne vois presque pas.

Noir, encore.

Je ne me vois plus. Foutue économie. Si j’avais des oreilles, je m’entendrais sangloter. Là bas, je me devine. Dégoulinante de lui, de moi. De celui que j’étais encore il y a quelques minutes. J’aurais voulu ne jamais vivre ça. Si j’avais des bras, je me serrerais dedans, tentant de m’offrir un semblant de réconfort. Je n’ai de bras que ceux que je n’ai pas, qu’elle enserre autour de ses jambes pour calmer son corps meurtri. Et son âme.

Lumière, à nouveau.

Je suis une autre, je me précipite sur mon moi-même désespéré. Viens, je vais te soigner, me soigner, soigner ce mal qui t’emplit, qui m’emplit… Je… Nous… Vous…Elles… Qui suis-je ? Suis-je Lui, aussi ? Je me relève, je m’aide à le faire. Et nous avançons vers moi, la cascade fait son office, me redonnant un semblant de paraitre. Rien qu’un peu. Je ne suis plus aussi belle à voir. Quelque chose est mort dans mon regard.

Rouge… sang.

J’ai viré mon autre moi, je reste face à face avec moi-même, sans réconfort. Rien. J’aimerais me laisser aller, en finir, mais je me laisse aller. Un accès de folie, de haine me prend et je tente d’arracher la cascade, sans succès, et je me frappe, je me frappe, encore et encore, comme si je cherchais un témoin, derrière, un coupable. Mais le coupable, c’est moi. Ne jamais accepter un verre d’un inconnu. Je me frappe, encore, et le teint blême, le tain blême, je ne peux que me fissurer, me perdre, et me dire, te dire, te prévenir, toi qui fus moi ce soir.

Sept ans de malheur ma jolie. Et ça ne fait que commencer.

6 commentaires:

Castor tillon a dit…

Eh bien, voilà enfin un miroir qui réfléchit ! Victime de la délocalisation, du reclassement, de la déchéance et de la mort.
Qui en a vu de toutes les couleurs, decrescendo.

Le ton abstrait et léger est particulièrement adapté pour cette jolie parabole.

Funny !

Yunette a dit…

"Funny" ^^ c'est fun tu trouves ? ^^
Pauvre miroir hein, il était mieux avec ses stars ! il brillait mieux qu'avec madame économie d'énergie !

Enfin... pauvre de lui...

DouxSilence a dit…

Heureusement qu'il existe les commentaires pour comprendre le texte... Je vais peut-être même le relire ^^

(allez les E.T. on sort de cette scène, c'était pas de vous dont il s'agissait mais d'une logique moins Hollywoodienne ! ^^)

Yunette a dit…

Il est super clair ce texte, pourtant ! Il suffit de (se) réfléchir un peu !

GroBe a dit…

avec un esprit vraiment bizarre, on peut penser à tout autre chose (du moins pendant un bon moment .... )

Yunette a dit…

Et tu pensais à quoi, toi ? ^^