8 avril 2012

À jamais

Chacun de ses gestes était un appel à la Soif. Chaque pulsation de ses veines venait faire vibrer les miennes, par trop inertes depuis que le Choix m’avait été donné. Ses sourires blancs ourlés d’un rouge des plus écarlates me tétanisaient. J’avais, dès lors que la vie m’était apparue sombre, au-delà du soleil, décidé de ne pas prendre de vie humaine. Je ne me nourrissais que d’animaux, risée de mes pairs.

Elle dansait. Fille de l’astre interdit, fille du jour, je l’observais et je savais. Je savais que cette nuit serait sa première, que sa journée serait sa dernière. Je la voulais près de moi, à jamais, je la voulais vivante mais elle ne serait mienne que lorsque je l’aurais vidée puis emplie du fluide mortellement vital, celui-là même qui la ferait crever. Elle pouvait d’ores et déjà faire ses adieux au soleil et saluer notre mère à tous, Séléné.

Malgré mon teint blafard, j’étais beau. Les filles me tournaient autour sans se douter un instant que leur vie était entre mes lèvres. Que ma volonté seule m’empêchait de goûter à la sueur de leur cou avant de le mettre en perce et d’enfin, déguster ce que je me refusais depuis mon éveil à la non-vie. J’étais un pleutre, un lâche. On m’avait donné le Choix. Mourir maintenant, ou mourir pour l’éternité… tout en conservant une forme de vie. J’ai choisi. À tort ou à raison, aujourd’hui peu me chaut. Aujourd’hui je n’ai qu’une pensée, une envie, une odeur, une saveur à découvrir, elle.

Non, je n’avais pas oublié que je ne voulais plus ôter la vie. Je voulais juste lui faire partager la mienne, qu’elle m’aime comme je l’aimais déjà…

Elle me haïrait…

Au fond de moi, je savais. Je savais qu’elle ne voudrait pas, qu’il faudrait que je lui offre cette vie sans lui donner le Choix, lui imposer. Et alors, alors, elle me détesterait, voudrait ma mort et la sienne. Elle ne m’aimerait pas, c’est la Vie qu’elle aimait, la chaleur du soleil.

La soirée s’éternisait, je n’arrivais pas à me décider. Il fallait que je le fasse vite, pourtant, bientôt l’Est se colorierait d’orange, et je ne pourrais plus partir…

Je l’invitai enfin à danser, elle était exténuée, mais le sourire qu’elle m’adressa m’offrit la preuve qu’elle n’attendait que cela. Je lui offrais à boire, un verre, puis un autre, m’imaginant déjà combien le nectar serait enivrant. Ce fut elle qui prit l’initiative, elle m’emmena jusqu’à sa voiture sans même que je ne songe à l’heure, puis elle nous conduisit au sommet d’une colline.

Nous n’avions pas échangé une parole, nul besoin. J’avais l’impression qu’elle connaissait ma nature, qu’elle partageait ma souffrance, qu’elle souhaitait partager mon existence, à jamais. Je nichais mes lèvres en son cou, à ce lieu si doux, si fin, où les veines battent visiblement. Je la sentais vivre sous mes lèvres, je la sentais offerte à mes baisers, mais le serait-elle à celui de la Faucheuse ?

Tandis que l’épais nectar coulait dans ma bouche, mes papilles réveillées en réclamaient plus ; elle tressaillit à peine, acceptation, elle voulait !

Elle serait mienne pour l’éternité… La vie la quittait, la vie était en moi. Son corps tressautait, et, alors que je lui offrais mon poignet, alors même qu’elle le saisit, le soleil se leva. Je n’en vis rien, tout à ma contemplation de celle qui serait mienne. Pour l’éternité.