28 juin 2021

Porte à porte

Encore deux ou trois ventes et après, je rentre ! Le soleil disparaissait déjà à l’horizon. La journée avait été particulièrement mauvaise et je n’arrivais pas à me résoudre à remballer. Pas avec si peu de chiffre, mes derniers jours avaient été lamentables. Mon patron me passerait un savon, ma femme ne manquerait pas de me loger à l’auberge du cul tourné, ce n’était pas possible de conclure ainsi.

La maison suivante présentait bien. Si j’arrivais à passer le cap de l’interphone, j’étais persuadé que je pourrais persuader l’habitant de cette demeure cossue d’acheter ma marchandise. Avec un peu de chance, même, ce serait l’habitante, une femme qui souhaiterait faire plaisir à son époux avec un cadeau à l’aune de l’amour qu’elle lui porte. Le prix, surtout, serait à la hauteur, lui servirait de sauf-conduit pour ses prochaines dépenses.

Trêve de réflexions, je sonnais. Je n’eus pas même l’occasion d’entamer mon baratin que le portail s’ouvrait. Trainant ma lourde valise, je maudissais les gravillons de l’allée. Une entrée de riches, faite pour les voitures, à l’avenant du parc et de la demeure. Tandis que j’avançais, je remarquai de nombreuses voitures stationnées. Loin de m’intimider, l’idée me réjouit. De potentiels clients en sus !

La porte d’entrée s’ouvrit avant même que je n’actionne le heurtoir de l’imposante porte en bois noble. Un domestique m’accueillit sans prononcer un mot, prit ma valise et me guida à travers des pièces plus grandes que mon appartement. Nous ne croisâmes personne d’autre. La maison – pouvait-elle prétendre à ce nom ? – était démesurée. Je n’aurais pu imaginer parcourir une telle distance en l’observant depuis la rue. Ereinté par ma cuisante journée d’échecs, je ne posais aucune question au larbin qui ouvrait la marche, mes jambes avançaient par automatisme.

Le domestique restait désespérément muet et je n’osais briser ce silence. Il nous fallut quelques minutes pour atteindre une porte plus massive encore que celle de l’entrée. Elle s’ouvrit sur une immense pièce voutée. Les murs étaient faits de lourdes pierres, une faible luminosité provenait de flambeaux. Un collège d’hommes en robes noires se tenait en arc de cercle devant moi.

Une poussée dans mon dos me propulsa dans cet antre étrange. La porte claqua dans mon dos, quand je tentai de reculer, je me pris les jambes dans la valise que l’homme avait fait entrer avec moi. Je me rétablis de justesse. Mortifié. Quel mauvais départ pour une vente !

Prenant mon courage à une main, l’autre s’étant saisie de la poignée de ma valise, j’avançais, me raclais la gorge, tentant de reprendre contenance, et amorçai mon discours. Je n’avais jamais été aussi mauvais. Ma voix tremblait, j’échouais deux fois avant de réussir à ouvrir ma valise, et je n’osais pas regarder ces hommes qui me faisaient face. Ils me laissèrent finir sans m’interrompre, prenant soin de garder une certaine distance.

Je risquais un regard vers eux. Ils me regardaient tous avec une certaine pitié. Ils s‘étaient approchés, je pus mieux voir leurs visages blafards. Un prit la parole, dévoilant deux terrifiantes canines pointues.

- T’es tellement chiant que tu nous as coupé l’appétit. Dehors.

Je repassai la porte dans un état second, mon cerveau refusant d’admettre ce qui s’était passé. En passant le portail, pour la première fois de ma vie, je me sentis exister. Qu’importe ce que dirait le patron, ou ma femme. Ils ne m’avaient pas mangé.

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