18 juin 2008

Espoir

A moitié endormi, je suis bien, là, tout contre toi. Soudain ton cœur s’accélère, tu cries! Tu me fais mal, me serres pas comme ça ! Que se passe-t-il ? Où sont tes bras ? Maman ! J’ai froid, j’ai chaud… ma tête… Maman… Maman. Où suis-je ? C’est tout vert autour de moi, j’entends des cris, je discerne ta voix, ta voix si faible, je t’entends Maman, je suis là… Pourquoi tu ne viens pas me chercher ? Des bras, enfin ! Ce ne sont pas les tiens ! Maman ! Où es tu ? J’ai mal, Maman, j’ai peur… je t’entends là, tout près, Maman… on m’emmène… Maman !


Les badauds s’approchent… Des phrases flottent dans le soleil matinal « Elle a eu de la chance ! Le bus s’est arrêté à ça.» Un peu plus loin, au pied d’un panneau, les commentaires sont moins optimistes. Ces phrases, ces phrases déchirent le cœur de la mère et résonnent dans sa tête.

Elle essaie de se lever, d’appeler. «Elle est réveillée ! Qu’est ce qu’elle dit ? Ne dites rien madame. N’essayez pas de bouger surtout, les secours arrivent » Elle tente de hausser le ton « Mon bébé… Où est mon bébé ? » on ne l’écoute pas « Calmez vous, madame » Tout à coup un cri fuse « Là dans le fossé ! Il y a un bébé ! Vite ! Il est en vie ! » L’enfant hurle, couvert de sang, sa mère le réclame, la mère est soulagée, s’il hurle, c’est qu’il vit ; une ambulance qui passait par là l’emmène.


Le chauffeur du car, hébété par le choc, la peur et l’alcool ne cesse de bredouiller « qu’ils sont arrivés comme ça et qu’il n’a rien pu faire ».


Un second véhicule médical arrive, enfin, on y charge la mère ; les secours commencent à partir, laissant là le père… pour eux condamné. La mère puise dans ses dernières forces pour protester ; finalement, ils vont le chercher et le posent nonchalamment au sol même du camion « On le déposera à l’église… ». Par acquit de conscience il lui mette de l’oxygène, pris par le temps, tout le monde se retrouve à l’hôpital.


La grand-mère maternelle arrive, paniquée, effarée… Personne ne s’occupe de son gendre, il est laissé là, sur une civière dans un couloir… Elle a peur, elle a perdu son mari à cause de la route, cette maudite route qui lui fait tant de malheur.

Le temps passe, et Dieu sait comme il s’écoule lentement le temps, dans ces cas là. Elle prie, prie encore, c’est tout ce qu’elle peut faire.

Elle appelle, elle veut savoir. Enfin, un semblant d’attention. Sa fille est vivante. Son petit fils risque d’énormes séquelles, son cerveau est touché. Son gendre est condamné, pas la peine d’essayer. Pourtant, elle le veut, elle, qu’on essaye, elle ne souhaite pas à sa fille d’être comme elle, veuve avant l’heure.

Finalement, coup de chance – si l’on peut dire – elle voit une amie, une chef de service ; lui explique la situation, depuis le matin son gendre est sur sa civière. Celle-ci fait bouger les choses. On s’occupe du père, mal en point, on le bidouille, il reste dans le coma.

Alors la mère et la grand-mère vont attendre, attendre encore, prier tant qu’elles peuvent. La mère est jeune encore, 25 ans à peine, elle ne veut pas perdre son époux, son homme, le père de son fils, elle veut qu’il puisse encore lui donner des enfants… Elle l’aime…


Elle espère la mère… et surtout, elle s’en veut ! Ce n’est pas sa faute pourtant, c’est la faute à pas de chance. Elle regardait la route, avec le levé de soleil, la brume matinale elle n’a pas vu le bus, le bus si blanc… Alors elle a dit au père d’avancer, ce qu’il a fait. Et quand elle s’est rendue compte de sa méprise, il était trop tard, le bus en surcharge conduit par un chauffeur ivre, n’a pas fait le moindre écart, il arrivait si vite que tout ce que la mère a pu faire c’est serrer son bébé contre elle le plus fort qu’elle pouvait.

Une deux chevaux contre un bus… ça pardonne pas.

Après, le choc. Ils ont été éjectés, tous, son bébé lui a échappé, désespérée, elle l’a vu s’envoler. Son mari – ironie du sort – est allé frapper en plein sur les panneaux qu’il avait installés la semaine passée. Le bus s’est arrêté à moins d’un mètre de la mère, l’enfant, son enfant, a été retrouvé au creux d’un fossé – presque à sec, heureusement.


Elle ressasse, la mère et elle prie, elle alterne entre le chevet de son fils – si petit, il a tout juste un an ! – et celui du père.

Enfin, il se réveille, cela fait dix jours qu’on le dit mort cliniquement. Plus d’espoir hein ? Elle a toujours de l’espoir, la mère. Pas de quoi la rassurer pourtant, mais elle ne lâche pas, elle le bénit de ne pas avoir donné ses organes. Il se réveille donc et il reprend vite du poil de la bête, il plaisante, plutôt vivant pour un mort. Autour de lui… un mot… un nom… il est devenu le Miraculé, ce n’est pas courant qu’un mort reprenne vie le jour de Pâques.

Elle ne regrette pas, la mère, elle ne regrette pas d’avoir espéré, d’avoir attendu, insisté pour qu’on ne le débranche pas, non, elle ne le regrette pas.

Aujourd’hui, ils vivent, ils gardent tous des traces de ce matin de mars.

Bien sur, ils sont abimés, mais ils sont heureux. L’enfant a 30 ans, il n’est pas comme les autres… Son rêve ? Être quelqu’un de normal.

Il a une petite sœur, ses parents l’ont faite rapidement après l’accident, peut être pour faire la nique au destin. La mère est devenue grand-mère, épanouie, heureuse, le cœur sur la main.

Alors oui, ce fut difficile, mais ils vivent… Pleins d’Espoir, grâce à l’Espoir, d’ailleurs ne dit on pas que c’est son rôle?

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