29 mai 2010

Tabard

Elle portait son tabard, jour et nuit. On la regardait de travers. Le vêtement ne ressemblait plus à grand-chose, cela faisait si longtemps. Elle se souvenait du jour de son départ, de la nuit qui l’avait précédé surtout. Ils s’étaient aimés, furieusement, fabuleusement. Comme si cette étreinte serait la dernière. Et elle le fut. Il partit au matin, la laissant rêveuse, éreintée. Elle enfila une robe légère, elle n’aurait raté son départ pour rien au monde.

Qu’il était beau dans son armure, le faucre neuf, fabriqué pour l’occasion, reflétait le soleil matinal. Le tabard blanc immaculé, aux armes de son seigneur. Elle débordait de fierté pour cet homme qui était le sien. De peur aussi. Mais elle ne le lui disait pas. Elle voulait qu’il garde d’elle l’image de la femme forte qu’elle était censée être. Elle lui sourit, se hissa sur sa monture pour un énième baiser, faisant fi des regards qu’on leur portait.

Puis, quand il s’était éloigné, elle s’en était retournée chez elle, chez eux, souhaitant que le logis soit sien à son retour. Elle le refit à son goût à lui, avec ses moyens modérés. Au fil des jours, nul courrier ne lui parvint, elle ne s’en inquiétait pas. Elle se doutait bien qu’il était fort occupé et que, comme il disait si bien, « la faiblesse est l’apanage des traitres ! ». Elle était sa faiblesse. Elle le savait vu qu’il le lui avait souvent répété.

Faible, elle l’était. Depuis quelques temps les latrines voyaient plus son visage que son séant. Elle savait ce que cela signifiait. Il allait avoir un enfant. Elle était heureuse. Certains étaient de retour, bientôt il serait là, elle lui apprendrait la nouvelle. Ils vivraient heureux, auraient beaucoup d’enfants… Elle se fourvoyait. Le ratier qui l’avait accompagné au combat revint un matin. Ivre de bonheur, elle sortit, prête à accueillir son chevalier.

Elle ne le vit pas. Dans la troupe qui arrivait, elle reconnut un ami à lui, s’approcha, les yeux l’implorant de lui apporter nouvelles. Sans un mot, il descendit de cheval, alla jusqu’à ses fontes et en sortit un tabard. Son tabard. Une déchirure au flanc suffit à lui faire comprendre ce qu’il s’était passé. Prenant le vêtement qu’on lui tendait, elle retourna s’enfermer chez eux. Chez elle. Là, elle s’autorisa de s’effondrer. Elle resta prostrée plusieurs jours.

Jour et nuit elle portait son tabard. Jour et nuit. Et, si les regards convergeaient vers elle, c’est surtout que son ventre devenait proéminent. Fille mère, catin, bâtard. Là était son avenir. Elle s’en fichait. Le petit qui bientôt allait quitter son sein était sa vie. Son deuil était fait, le tabard, elle allait le laver, le repriser, et si, par bonheur elle attendait un garçon, plus tard, il pourrait montrer qu’un bâtard pouvait tout aussi bien porter le tabard.

2 commentaires:

Castor tillon a dit…

En cette époque, Chevaliers estoient grands pourvoyeurs d'orphelins.
Au grand dam des dames.

Et Dame Yunette grande troubadourette de ballades mélancoliques.

Yunette a dit…

Dame Yunette ne maitrise pas bien la langue de cette époque, elle va plutôt parler de ce qui aurait pu s'y passer avec les mots d'aujourd'hui !