3 juin 2011

Vie de caddie

« Nous partîmes quarante, mais sans grand effort, nous en perdîmes trente en arrivant au fort. »
Ça aurait pu faire un chouette début en fait, un machin qui rime, qu’a de la gueule. Sauf que la lose c’est que ce n’était pas un fort, ça ne ressemblait à rien. On voulait faire un genre de barricades, un truc que les errants ne pouvaient pas passer, qui nous aurait tenus en sécurité…

Si on avait su… Pourquoi se donner tant de difficulté alors que le mal nous ronge de l’intérieur ? Avec eux, au moins, nous savions d’où venait la menace. Là… La seule chose dont je suis persuadé c’est que je ne suis pas coupable. Ce qui ne les empêche pas, les neuf autres, de m’observer l’œil empli de méfiance, soupçonneux au moindre écart.

Et comme je les comprends ! Je me méfierais de ma propre mère si elle n’était la première à avoir succombé. Tout s’est passé vite, beaucoup trop vite. Et nous n’avons retrouvé aucun corps, sauf durant la grosse vague de croulants. Les têtes, juste, visage figé dans un rictus infâme, la peau déchirée plus que découpée… Sourire béant, mâchoire défaite, yeux exorbités… Quand ils étaient encore présents.

Les zombies ont cela de bon que lorsqu’ils tuent, ils ne laissent mie. Ils vous embarquent, entiers. Ça évite de se demander, ou d’être persuadé que le mort a souffert. Et vous revenez, ensuite, saluer la famille. Maman n’est jamais revenue. La tête seule, cela ne donne rien, et quand bien même, les autres l’ont arrosée, ne lui laissant pas cette chance. Je n’ai pas même eu le droit de la frotter derrière les oreilles.

Nous étions quarante, et trente ne sont plus. Ça craint. Chaque jour nous faisons des expéditions, passons au milieu des errants, qui, bizarrement, n’attaquent que le soir, à une heure donnée, comme quoi, ils sont bien organisés. Et nous aussi, de fait, puisqu’on s’est calés sur leur horaire. Esclaves d’êtres qu’on ne peut qualifier de vivants. Tombés bien bas, moi je vous le dis.

Chaque jour j’en ai vu disparaitre. Des nôtres, les autres je m’en fous. Maman la première. Et ce n’est pas dû aux zombies. À mon avis, on devait la trouver trop lente, coincée dans son caddie et moi avec. Pas sa faute, aussi ! D’accord elle était chiante à gueuler qu’elle avait mal, ou à chanter quand on lui filait des calmants, mais merde ! C’était ma mère, quoi !

Et tous les vieux d’un coup. Méthodique. Portes ouvertes, juste un soir, le soir où on avait décidé de leur faire un bal à l’ancienne, ils sont restés danser, nostalgiques. Bam. Dix de moins. Pourquoi j’ai eu cette idée de soirée vieux, moi, hein ? Je comprends qu’ils m’en veuillent, ils pensent que c’est de ma faute, qu’à cause de la musique, le portier s’est oublié, qu’il s’est endormi, musique pour vieilles choses… Pas un n’a songé à goûter sa ration d’eau. Sauf le chien. Qu’a dormi tout le jour ensuite.

Chaque soir, un nouveau. L’hécatombe. Je croyais qu’on avait déjà vécu l’Armageddon ? La nature humaine fait que pour je ne sais quelle raison, l’un d’entre nous tue. Tous les jours. Deux êtres. Je ne sais qui fait cela. Mais j’ai juré sur la tête de ma mère que je trouverai ! Je veux savoir qui est l’enflure qui lui a ôté la vie ! J’y passerai mes journées, mes nuits s’il le faut ! Je mènerai l’enquête !

Et j’y ai passé du temps. Beaucoup de temps. Je n’ai pas trouvé. Nous ne sommes plus que deux, ce soir. L’erreur n’est plus possible. Chaque soir, depuis le meurtre de maman, j’élimine celui que je soupçonne être derrière tout ça. Chaque soir, j’égorge, à la manière de la brute, avec mon chandelier affuté, la bête. Chaque soir, il y a deux autres morts. Et maintenant, je sais. C’est lui. Cela ne peut être que lui.

Colonel Bastard, qu’il disait. Colonel… Ah oui, gendarme, dans le temps. Enquêteur. Brigade criminelle.

Et si… Et si, lui aussi, il menait l’enquête, à ma façon ?
Et si…
Si maman m’avait demandé de l’aider à crever ?

J’ai oublié…

3 commentaires:

Chrysopale a dit…

Brr... et le pire, c'est que c'est super réaliste...

Anonyme a dit…

C'est arrivé au troisième jour.

Nous étions une trentaine de réfugiés entassés au milieu des ordures et des vieilles planches, dressant de misérables défenses avant que la nuit ne tombe. Vous souvenez-vous de ce recoin de votre chambre d'enfant hanté par d'étranges ténèbres ? Si noires qu'une horrible créature pouvait en surgir à tout moment ? Hé bien, la nuit, c'étaient les mêmes ténèbres dans notre campement. Sauf qu'il n'y avait pas d'horrible créature. Mais des milliers.

C'est arrivé au troisième jour. Avec le retour du campeur. Il revenait du bout du monde, essouflé, assoiffé, serrant contre lui un grand et mince rouleau de carton bouchonné à ses deux extrémités. Les opercules retirés, le rouleau se révéla creux. Il contenait un plan.

Aujourd'hui nous sommes au cinquième jour et nous allons tous mourir. Et pourtant nous avons tous le sourire. Car ce qu'il y avait sur le plan nous l'avons construit, édifié, tous ensemble et sans regret. Notre dernier poison et notre dernier rêve, notre bébé et notre catharsis et finalement un dernier pied de nez à la vie et à la mort elle-même.

C'est arrivé au troisième jour. Je lui ai enfin vendu mon âme.

Pour Yunette, en souvenir d'un trop court séjour dans un monde qui n'existe heureusement pas !

:)

Yunette a dit…

J'aime beaucoup... Ce commentaire ! Mais qui est là ? Parce que je voudrais en lire plus ! Et je me doute que là, j'aurais matière, au vu du comm...